CHRONIQUES DE L’AN 3000 

 I - UNE BOUTEILLE A LA MER

(Lettre aux citoyens de l’an 2005)

 Il y a quelques siècles, je ne me souviens plus très bien exactement, le société française n’allait pas très bien , mais elle n’était pas la seule au monde. Inégalités sociales et chômage en constantes progressions, délocalisation des entreprises, corruptions des élus , enrichissement sans précédent des actionnaires au détriment des salariés, accroissement de la misère,  dégradations de l’atmosphère, pollutions diverses des terrains agricoles, des eaux et des océans , etc... vous vous en souvenez très bien. D’ailleurs, c’est pire aujourd’hui. Vous aviez été consultés par référendum pour accepter ou refuser un projet de Constitution Européenne qui, à en croire les protagonistes, aurait jeté la base de tous les changements afin de régler les problèmes cités précédemment.  Vous l’avez donc refusé en votant non. Bon. Le gouvernement de monsieur Rafarin, premier ministre de Monsieur Chirac, très déçu de n’avoir pu convaincre la population du bien fondé de cette constitution qu’il avait pourtant défendue avec acharnement , a donc été démissionné . Encore une fois on n’a pas manqué de vous culpabiliser en vous disant que voter « oui » c’était défendre les intérêts de la France. Bien curieuse réflexion à propos d’une construction « Européenne » où chaque pays pourrait tenir le même discours égoïste ! Moi, ce qui m’intéresse, c’est surtout les intérêts de tous les peuples du monde.

 Changer les têtes a toujours été une bonne recette pour faire croire aux électeurs que c’est le seul moyen de résoudre les problèmes économiques et sociaux. Cette fois encore ça a marché, comme à chaque fois qu’il y a eu des élections pour placer au pouvoir un coup des hommes de gauche, un coup des hommes de droite, ceci pendant des dizaines d’années jusqu’à aujourd’hui, le 16 juin 2999.

 Chers concitoyens,

 Quand allez-vous donc réaliser que le vrai pouvoir est ailleurs, bien plus élevé au-dessus des états, dans les hautes sphères de la haute finance que représentent les grandes banques et les multinationales. L’ultra libéralisme a triomphé de tous les Etats en les forçant à appliquer des règles qui génèrent toujours plus de  profits pour les actionnaires et les grandes entreprises. Le « pouvoir politique » ne peut plus lutter contre ce système mondial qui a réussi sans trop de difficulté à réduire les hommes au niveau de simple consommateur étroitement contrôlé et surveillé. Qu’ils soient donc de gauche ou de droite, ces hommes que vous élisez ne sont que des « hommes d’affaire » trop contents de faire respecter les lois du capitalisme dont ils ne manquent pas de profiter à leur tour en s’accordant tous les privilèges possibles. Car c’est bien du capitalisme dont il s’agit, oui ou non ? Mais curieusement il n’y a plus personne pour en parler, ou oser en parler. Après la défaite du communisme en 1989 ne resterait possible que ce modèle de société dans lequel nous vivons actuellement ? On le croirait. En fait, on a tout fait pour chacun ait désormais la conviction d’une « normalité » enfin retrouvée, après l’anéantissement de l’ennemi tant redouté des capitalistes (des USA entre autres) . Pourtant, qu’est-ce que nous espérons, nous, citoyens de la terre ? Que peut signifier aujourd’hui, être républicain ? Plus de fraternité, d’égalité et de liberté ? Parlons en .

 C’est le contraire de ce qui se passe dans le monde. Des guerres et des conflits ethniques qui éclatent un peu partout. Des caméras qui nous surveillent à chaque coin de rue. Des cartes à puce plein les poches et des portables capables de contrôler le moindre de nos pensées et mouvements. Des jeux qui nous font espérer devenir « plus riches que les riches ». Et partout dans les médias, le harcèlement publicitaire pour toujours plus de voitures (ce formidable marché qui va faire jouir de bonheur les peuples du tiers monde), toujours plus de communication, de confort et de bien-être personnel qui ne laissent plus que très peu de place à toute « considération fraternelle », puisque tout cela en définitive nous met chaque jour d’avantage en compétition avec les autres.

Les gouvernements successifs, quels qu’ils soient, n’ont pas pu faire autrement que de nous enfoncer progressivement à chaque élection dans cette situation, en nous laissant dominés de plus en plus par le pouvoir de l’argent. Et notre gauche est d’autant plus méprisable qu’elle n’a jamais rien fait réellement « contre » le capitalisme et donc « pour » le partage équitable des richesses que nous, citoyens, continuons à produire (n’est-il pas extraordinaire de devoir le rappeler ?). D’ailleurs, qui se soucie du partage des richesses, puisqu’aujourd’hui chacun rêve de devenir milliardaire. D’ailleurs l’argent tombe du ciel, c’est bien connu !

 Telle est actuellement l’idéologie dominante. Qui est scandalisé par les immenses fortunes accumulées dans les coffres de seulement quelques personnes alors que plus d’un milliard d’individus ne mangent pas à leur faim ? Qui peut me trouver un seul argument sérieux qui justifie qu’un seul individu a le droit de gagner en une heure ce que d’autres n’arrivent même pas à gagner en une vie. Qui a encore l’audace de répondre que le fortune n’est qu’une question de mérite, ou de fatalité (il faut bien des gagnants et des perdants), une question de chance ou de faute à pas de chance ? Et puis ceux-là , les crève-la-faim, c’est tous des fainéants, ils ne veulent même pas travailler, ou bien, ils n’ont qu’à jouer au loto, après tout ! Vous savez, pour être plus riche que riche ! « Madame ! combien êtes vous payée pour prononcer de telles paroles indécentes dans je ne sais plus quelle télévision pour je ne sais plus quelle publicité, et combien de cachets cela vous rapporte pour pouvoir assurer votre statut d’intermittent du spectacle ? » C’est du spectacle, ça ? J’ai honte pour vous. Mais c’est vrai que vous y êtes obligée, sinon vous êtes à la rue. Mais la rue, ça a des cotés positifs. On peut s’y promener, se rassembler en groupes pour discuter (Ah non, merde, c’est interdit) , alors ! flânez au hasard dans des bibliothèques pour consulter des livres, des articles, et lire des choses sur  « la loi de la valeur » ou bien sur les définitions et l’histoire de la démocratie.

 Tiens ! par exemple, à propos de cette histoire !

 De l’avis de nombreux historiens éclairés, la dernière expérience de démocratie réellement vécue fut certainement celle de la Commune de Paris en 1871. Pour justifier le massacre de 30 000 communards organisé par ce charmant Monsieur Thiers, on nous avait fait croire sur les bancs de l’école des années 1950 que c’étaient des voyous et des voleurs, « de la canaille » selon l’expression des bourgeois républicains de l’époque. Evidemment, puisqu’ils avaient réquisitionné (sans aucune violence) certaines banques, symbole du capitalisme qui les exploitait. Mais ce n’était pas le seule raison. Car ces soit-disantes canailles commençaient à prouver qu’il était possible à un peuple de gérer la société selon les règles fondamentales de la démocratie définies par la déclaration des droits de l’homme, à savoir : la liberté, l’égalité et la fraternité d’où est forcément exclue « toute recherche du profit personnel et d’exploitation des autres ». Cela constituait une grande menace pour la bourgeoisie qui allait voir ses privilèges disparaître. Rappelons le encore, et ne l’oubliez jamais, c’était pendant la Troisième République.

 Ceux qui nous gouvernent sont les héritiers de cette Troisième République et ne sont pas prêts de lâcher le morceau. Et, pour ne pas avoir à répéter le massacre de la Commune de Paris (Ils en seraient tout à fait capables de par ce sombre héritage, ça a failli en 1968 !) il vaut mieux disséminer ça et la quelques agitateurs bien formés dans les manifestations, dont le rôle principal est de justifier l’intervention violente de la police. C’est une façon de prévenir les populations qu’il ne faut pas aller trop loin dans la contestation, ou qu’il ne faut pas devenir des « voyous » en quelque sorte des « canailles ».  C’est une manière douce et démocratique de rappeler : « Faites attention, Nous, l’Etat, c’est Nous qu’on a raison et puis d’abord on est les plus Forts ». La leçon porte ses fruits, les citoyens manifestants ont eu leur moment de défoulement, s’excusant presque d’avoir menacé et dérangé pendant quelques instants les affaires de l’Etat,  rangent leurs drapeaux et rentrent bien sagement chez eux,  jusqu’aux manifs suivantes, quelques mois après, quelques années et même quelques siècles...puisqu’aujourd’hui on en est au même point.

 Nous avons donc inventé le mouvement perpétuel républicain, dans un rythme à quatre temps :

 1/  Baisse du pouvoir d’achat, licenciements, délocalisations, chômage...

2/  Manifestations , grèves...

3/ Plans sociaux (sociaux ?), légère augmentation des salaires (donc du pouvoir d’achat), création d’emplois sans avenir...

4/ Hausse des prix à la consommation, (On n’a rarement vu un employeur accepter la moindre diminution de ses profits). Donc baisse du pouvoir d’achat.

 Donc, il n’y a pas de raison que ça s’arrête ! Reprenons :

 1/  Baisse du pouvoir d’achat, licenciements, délocalisations, chômage...

2/  Manifestations , grèves...

3/ Plans sociaux (sociaux !), légère augmentation des salaires (donc du pouvoir d’achat), création d’emplois sans avenir...

4/ Hausse des prix à la consommation, (On n’a rarement vu un employeur accepter la moindre diminution de ses profits). Donc baisse du pouvoir d’achat. Reprenons.

 Etcetera... avec quelquefois des divertissements et des variantes comme des bals à la cour du Palais présidentiel, des référendums pour un oui ou pour un non, des élections à droite puis à gauche, à gauche puis à droite, parfois au milieu, avec les mêmes promesses de croissance qui font croire qu’elles vont résoudre les problèmes d’inégalités,  des mesures qui visent surtout à culpabiliser les gens qui ne trouvent pas d’emploi, des projets de Constitution Européenne qui ne toucheront jamais aux paradis fiscaux, n’empêcheront jamais les délocalisations et le développement des réseaux de prostitution et des trafics de drogue, et ailleurs dans le monde, encore des génocides, des famines, des embargos (Question : savez-vous combien d’enfants Irakiens sont morts de soif, de faim et de maladie depuis la guerre du Golf de 1991), des enfants encore, exploités honteusement sur les chaînes de fabrication Chinoises, et des agressions sanglantes avec occupation de tous les pays dits « voyous »...(ça pourrait bien nous arriver aussi, tiens ! On en a eu aussi des voyous, chez nous)...

Que « la force » (du fric) soit avec les républiques !

 Citoyens du monde, nous sommes en train de devenir les otages d’une dictature sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Mais comme aux yeux de certains il ne saurait exister de dictatures pires que celles que l’on a connues, je m’attends à recevoir des injures de toutes sortes pour avoir osé proféré de telles comparaisons. Ca m’est égal. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que les promoteurs essentiels de cette dictature sont bien les médias et particulièrement la presse, exceptés de rares journaux comme le Monde Diplomatique, qui ne doivent en aucun cas gêner les super-profits des multinationales qui y ont justement placé leurs intérêts. Ils ne peuvent donc être autre chose que les porte-paroles de l’idéologie dominante, interdits d’une remise en question fondamentale des systèmes économiques et sociaux. Et avoir le contrôle absolu des médias et de l’information, n’est ce pas le moyen d’exercer sereinement un pouvoir totalitaire, proche d’un certain terrorisme ?

 Rappelons-nous cette date fatidique, le 9 novembre 1989 : le monde de la finance, des paradis fiscaux et des multinationales, avait enfin réussi à éliminer le dernier obstacle qui l’empêchait de se hausser à un niveau de pouvoir et de puissance tel que plus rien ne pourrait le menacer. Ce monde n’est géré que par une poignée d’hommes,  mais ces sinistres individus ont désormais à leur disposition toutes les fortunes et toutes les armées du monde pour protéger leurs intérêts. Ce seront les derniers plus grands criminels que l’humanité aura porté dans son sein avant de disparaître.

 Citoyens de l’an 2005, vous auriez pu lancer ce message de détresse « SOS ! Notre navire est en train de couler ». Vous ne l’avez pas fait. Il est maintenant trop tard, nous avons touché le fond.

 Philippe d’Hennezel