65 - CLAIREFONTAINE

 

SOMMAIRE

 

Ses créateurs en 1730, Augustin Bonhomme seigneur du Moulin et Michel Schmid de Ronchamp - La verrerie n'est plus qu'un hameau agricole - Inscription sur un vieux calvaire, gage de la piété des anciens maîtres verriers (1744 - 1804).

 

Note de mai 1948

 

Histoire de la verrerie de 1730 a 1867, par le commandant Klipffel - En 1941 le dernier représentant de la famille Schmid vient finir ses jours à Hennezel ­ Son aide à l'abbé Mathis - Au printemps de 1944, Clairefontaine fête le second centenaire de son calvaire. Quelques semaines plus tard, le curé d'Hennezel est fusillé sur la place communale à l'emplacement d'un autre calvaire que M. Schmid avait décidé de faire élever.

Nous avons traversé Clairefontaine, à l'automne dernier, en allant au Tourchon avec le capitaine Larose. Massey ne connaît pas ce hameau. bien que peu de souvenirs de nos familles ne nous y appellent, nous y ferons étape, avant de gagner l'ancienne verrerie de Belrupt qui est, au contraire attrayante pour nous.

Le four à verre qui flamba à Clairefontaine, jusqu'à la fin du second empire était l'un des derniers allumés dans la forêt. Ses créateurs appartenaient à des familles étrangères au pays de Vosges. Ils se nommaient Schmid. On les disait d'origine allemande, ou tout au moins alsacienne. Ils établirent une verrerie dans le voisinage immédiat d'Hennezel, à l'époque où les anciens fours de nos familles s'éteignaient l'un après l'autre. La tradition raconte qu'ils venaient de Westphalie ou de Bohème. Trois frères portant les noms des trois rois mages, Melchior, Balthazar et Gaspard. .

Il y eut peu de rapports entre les créateurs de cette industrie et les gentilshommes dont nous guettons les ombres. Pour cette raison, je connais mal le passé de Clairefontaine. Je sais seulement la date de la fondation du domaine et les noms des animateurs.

Ces noms figurent dans les lettres l'ascensement conservées aux archives nationales.

En 1730, deux maîtres verriers obtiennent de Louis XV, la concession d'une cinquantaine d'arpents de forêt sur le petit plateau situé entre le Tourchon et un terrain appelé la Geroche, proche de la Saône. Ils demandaient à y établir une verrerie à proximité d'une source abondante et claire, et ils se proposaient de défricher à l'entour la surface de terre nécessaire à la subsistance de leurs familles. Ces verriers étaient roturiers.

L'un, Augustin Bonhomme, se qualifiait Sgr du Moulin, il devait être originaire du pays de Liège où existait une célèbre famille verrière de ce nom. L'autre, Michel Schmid, dirigeait la verrerie de Ronchamp sur la route de Lure à Belfort. Les fours qu'ils créèrent ici devaient flamber plus d'un siècle. A la fin du second empire, une centaine d'habitants vivaient à Clairefontaine. Aujourd'hui le hameau est sans vie, il a été déserté par la population ouvrière. La plupart des maisons sont vides, les anciens bâtiments industriels s'écroulent, chaque année, un peu plus. Parvenus au milieu du village, nous stoppons à l'endroit même où nous avions laissé l'auto, l'année dernière, pour nous rendre au Tourchon, à travers champs.

Malgré la disposition de ses maisons qui conserve, comme à la Planchotte, un aspect de petite agglomération industrielle, Clairefontaine n'est plus qu'un hameau agricole. Les quelques humains qui s'y maintiennent, exploitent les champs et les prés de l'ancien domaine.

Devant une maison, un gros tas de fumier jaune laisse couler des filets de purin, des poules picorent autour. Assise sur le seuil de son logis, une jeune mère allaite son enfant. Sur l'appui d'une fenêtre un chat, les yeux mi-clos, fait le gros dos au soleil. Plus loin, deux bonnes vieilles, assises dans l'herbe, papotent paisiblement. Dans la rue, un groupe de gamins, intimidés par nos visages inconnus, se battent pour se donner une contenance.

Nous passons prés d'une maison basse, enveloppée de lierre, au bruit du moteur, le vieux qui l'habite, se porte curieusement sur le pas de sa porte. Je le questionne. Il nous indique l'emplacement de la halle de la verrerie « sur la place du village, un pan de mur au milieu de décombres ».

De chaque coté des bâtiments ruinés, les ateliers où l'on taillait le verre. A l'ouest, au bord d'un petit ruisseau, issu de la claire fontaine, marraine du lieu, se trouvait un moulin minuscule qui actionnait la « pillerie de terre ».

Au bout du village, en bordure du chemin allant à la Pille et à Belrupt, verdoie une prairie parsemée de vieux arbres fruitiers. C'était le jardin entourant la demeure des maîtres de la verrerie. De leur habitation et de ses dépendances, il ne reste que des décombres, étouffés par des sureaux et des arbustes sauvages

Un muret de pierres séchés, croulant malgré ses croûtes de mousses, sépare ce jardin de la rue. Il protège toujours un petit monument dont l'aspect ancien attire notre attention, une modeste croix de pierre posée sur un socle en forme d'autel, ce calvaire rustique doit être l'oeuvre d'un artisan local. Il n'a aucune prétention artistique. Il ne comporte pas la moindre ornementation, il est simplement un témoignage de foi que sa vétusté rend émouvant.

La pierre est ridée comme un vieux visage, deux siècles d'intempéries ont piqueté sa surface de rousseurs de lichens et de minuscules cryptogrammes. Les angles du monument sont adoucis ou écornés. Quelques graminées ont trouvé leur vie dans les joints branlants. Le socle qui émerge des hautes herbes porte une inscription. Je m'approche. Le texte gravé en capitales naïves reste très lisible.

 

ERIGEE PAR

GASPARD SC

HMID ET MA

RIE -- ANNE

BONHOMME

L'AN 1744

ET PAR REMY

SCHMID L'AN

DU JUBILE

1804

Le bonhomme que j'ai questionné, nous explique,

- « La pierre de ce petit autel sert à déposer les offrandes de pain, coutume du pays. Le socle du calvaire a été mis par les fondateurs de la verrerie, mais la croix est moins ancienne ».

Les renseignements sont confirmés par l'inscription.

- « Les Schmid qui ont fait poser cette croix, dis-je à Massey, descendaient certainement des fondateurs de la verrerie. Leur famille n'était pas noble, cependant plusieurs de leur membres ont été qualifiés quelquefois « Gentilshommes verriers », tant était ancrée la tradition de la noblesse de l'art du verre. Ils ont d'ailleurs pris alliances dans des familles nobles notamment les Larmont, Massey, du Houx, l'Escale. Il serait intéressant de retracer l'oeuvre industrielle de ces successeurs de nos familles ».

L'intérêt que nous prenons à la lecture de ce texte, encourage le vieux paysan à parler,

- « Il n'y a pas longtemps encore, il y avait sur la halle une autre inscription. Elle était au-dessus de la porte d'entrée, du coté nord. Elle donnait la date de l'établissement de la verrerie vers 1700 et quelque, puis l'année où la halle fut reconstruite par M. Remy Schmid, le même qui a fait le calvaire. C'était en 1818 ».

Aujourd'hui nous n'avons pas le temps de nous attarder. Je laisse la voiture à la garde de ma fille, nous irons Massey et moi, à pied à la verrerie de Belrupt par un sentier de la forêt.

NOTE DE MAI 1948

L'histoire de cette vieille croix m'est aujourd'hui connue. Mon ami de Thiétry, le commandant Klipffel, a consacré une importante notice à Clairefontaine et aux familles qui ont mis en oeuvre la verrerie. Il a eu l'amabilité de m'offrir une copie de son travail. Le sujet l'intéressait, Mme Klipffel, née du Houx est la petite nièce de Mme Remy Schmid, née du Houx, épouse du maître verrier de Clairefontaine. Le fils de ce Schmid s'associa avec MM. du Houx, oncle et frère de Mme Klipffel, lorsqu'il créèrent la verrerie de Fains.

La notice du commandant est au nombre des études qu'il a consacrées à l 'industrie dans la forêt de Darney. On pourra consulter l'ensemble de cette oeuvre érudite aux archives des Vosges. Je me contente d'en extraire quelques notes ayant trait à l'inscription que nous avons relevée, Massey et moi en 1929.

Gaspard Schmid, qui fit ériger cette croix en 1744, était le frère cadet de Michel, l'associé d'Augustin Bonhomme, dont les noms figurent dans les lettres royales de 1730.

En 1732, Augustin Bonhomme se retira de l'association. Il céda la moitié de la verrerie à dom Gérard, le prieur de Droiteval si entreprenant dont nous avons parlé. Michel Schmid partagea cette moitié entre ses deux frères, son fils et ses gendres (1732). Il mourût l'année suivante. Gaspard racheta à ses frères et beaux-frères leur part ainsi que la moitié possédée par dom Gérard. Il se trouvait maître de l'usine avec un de ses neveux en 1736, lorsqu il obtint du duc, l'autorisation de défricher cinquante nouveaux arpents de bois pour augmenter le domaine. .

Seul propriétaire, Gaspard va donner une impulsion heureuse à son affaire. Il est énergique et travailleur. Malgré des complications de toutes natures, son usine prospère. Sa femme et lui sont profondément chrétiens. Au bout de quelques années de labeur, couronnées de succès, ils font ériger, en face de leur demeure dans le jardin, ce calvaire pour remercier la providence d'avoir récompensé leurs efforts.

Mais un grand chagrin allait frapper le maître verrier, quelques mois plus tard sa femme mourait laissant trois jeunes enfants. Pour les élever, Gaspard Schmid se remaria avec une demoiselle de Massey. Lorsqu il décéda en 1773, son fils Charles, lui succéda dans la direction de la verrerie. Mais par suite de difficultés financières, une partie de l'affaire repassa aux mains du gendre de Gaspard, un maître verrier alsacien, Melchior Gresely, originaire de la verrerie de Han, près de Bruche.

En 1789, Clairefontaine flambait sous l'impulsion des deux beaux-frères. Gresely mourut à la fin de cette année la. Resté seul, Charles Schmid parvint à maintenir l'activité de son usine, pendant la révolution. Il avait épousé les idées nouvelles, il fit parti de la municipalité d'Hennezel et devint, en 1793, chef de la légion de la garde nationale du district de Darney. Il mourut dans la force de l'age, à cinquante deux ans en 1796. La veuve, secondée par son fils aîné Rémy-Gaspard, continua l'exploitation de la verrerie.

Lorsque le concordat permit le rétablissement public du culte catholique, beaucoup de familles reprirent ouvertement leurs pratiques religieuses. Les Schmid de Clairefontaine étaient du nombre. L'année de la proclamation de l'empire, suivie quelques mois plus tard du séjour en France du pape Pie VII, à l'occasion du couronnement de Napoléon, le jeune maître de la verrerie de Clairefontaine, Rémy Schmid atteignit sa majorité.

L'heure lui sembla venue d'effacer les mauvais souvenirs des années d'athéisme officiel. Il voulut affirmer publiquement sa foi, il rétablit dans le jardin de sa propriété, la croix protectrice de l'industrie familiale, érigée soixante plus tôt, par son aïeul et détruite sous la terreur.

Au cours des années suivantes, les guerres impériales se succédèrent sans interruption. Elles épuisèrent la nation et furent défavorables à l'industrie. La verrerie de Clairefontaine périclita, malgré les efforts de ses animateurs pour maintenir son activité. Elle fut mise en faillite le jour où naissait le roi de Rome (mars 1811). Courageusement, la veuve de Charles Schmid abandonna ses biens à ses créanciers.

En 1818 seulement, son fils Rémy put s'associer avec son cousin Melchior Gresely pour remettre en oeuvre Clairefontaine. C'est l'année où fut reconstruite la halle.

Deux ans plus tard, pour étendre leur affaire, les deux cousins décidèrent de diviser leur tache. Melchior Gresely assuma seul la direction de Clairefontaine, tandis que Rémy Schmid prit celle de la verrerie de la Bondice, en Haute-Marne. Mes deux associés réussirent dans leur entreprise. Au bout de quelques années les bénéfices qu'ils avaient réalisés leur permirent d'éteindre les dettes de la faillite (1828).

Malgré l'éloignement de son champ d'action, Rémy Schmid restait attaché au hameau natal. Il était venu en 1823 à Clairefontaine, pour épouser une demoiselle du Houx de Clairey (Marie Françoise Rosalie du Houx, était la fille de Charles-François du Houx de Clairey, commandant de la garde nationale de Hennezel pendant la révolution et de Rose de Massey. Quatre enfants naquirent de cette union. Le dernier, Auguste Schmid, né en 1831, fut l'associé de son cousin Emile du Houx dans la création de la verrerie de Fains. Il se retira de l'affaire après avoir fait fortune. De son mariage avec une demoiselle de l'Escale, Auguste Schmid eut un fils, Charles, demeurant actuellement à Hennezel.

Rémy mourut prématurément en 1832. La société de Clairefontaine fut liquidée et Melchior Gresely resta seul. En 1835, il créa la taillerie de la Bataille dont nous avons vu l'an dernier les ruines portant une inscription blasphématoire. Melchior mourut l'année suivante, son frère, Georges Gresely lui succéda à la tête de l'usine, jusqu'au jour de son décès en 1851. La verrerie fut alors rachetée par les propriétaires de la Rochère qui en continuèrent l'exploitation. Mais en 1867, les fours furent éteints définitivement. Alors commença l'agonie du hameau. .

En novembre 1941, le petit fils du ménage Schmid du Houx, M. Charles Schmid, attiré par les souvenirs que sa famille a laissés à Clairefontaine et par le voisinage de ses voisins de Thiétry, s'est fixé à Hennezel pour y finir ses jours. Il a hérité des sentiments de ses parents, dés son installation au pays, il a mis son activité et son dévouement au service des oeuvres. C'était le moment où le jeune abbé Mathis donnait une impulsion nouvelle à la paroisse.

Au début de l'année 1944, le curé d'Hennezel m'écrivait,

- « M. Schmid est un esprit curieux et original. Il rime volontiers. Il est musicien à ses heures, je lui ai confié notre chorale, il s'en acquitte fort bien. Lui et Mme Schmid sont bien dignes de leurs cousins Klipffel ».

Quelles recrues pour un curé que de tels paroissiens...

Depuis son arrivée à Hennezel l'abbé Mathis poursuivait avec ardeur l'apostolat de son prédécesseur, l'abbé Noël. En quelques mois, il avait pris un ascendant extraordinaire sur la population. L'éclat qu'il avait donné aux cérémonies religieuses, les oeuvres de jeunesse qu'il mettait sur pied avec un entrain incomparable, lui attiraient tous les coeurs.

Toujours il fut secondé par les derniers descendants des maîtres-verriers de Clairefontaine et de Fains. C'est ainsi que M. Charles Schmid inspira l'ultime témoignage de zèle donné par l'abbé Mathis, quelques semaines avant son martyre.

Passionné d'histoire locale, le jeune curé saisissait toutes les occasions de réveiller dans l'esprit de ses ouailles, le souvenir de leurs traditions. Au début de l'été 1944, il eut la pensée de fêter à Clairefontaine, en présence de M. Charles Schmid, le second centenaire du calvaire, érigé en 1744, par Gaspard Schmid, l'ancêtre de son paroissien. Quelques semaines plus tard, l'abbé Mathis m'envoyait une longue lettre pour me remercier d'avoir accepté d'entreprendre à son intention, le récit de mes pèlerinages en Lorraine. Lui-même me faisait part de ses projets, il me donnait des échos de son activité récente.

- « Je vous envoie une photo, prise devant le calvaire de Clairefontaine, le jour où nous avons fêté son second centenaire (25 juin 1944). Comme vous le voyez je prononce le sermon sur une chaire de rencontre ».

Il était monté sur le mur de pierres sèches, à demi écroulé, qui délimitait jadis le jardin des maîtres de la verrerie, mur que nous avons franchi, Massey et moi, quinze ans plus tôt pour déchiffrer l'inscription du calvaire. Le doyen de Darney et de nombreux enfants de choeur, revêtus de longues aubes bénédictines ornées du blason d'Hennezel, sont assis autour de l'orateur. Celui-ci, tourné vers la foule exhorte ses fidèles.

Et l'abbé poursuivait, '

- « M. Charles Schmid a décidé à cette occasion, de faire élever à Hennezel centre, un calvaire, réplique de celui de ses ancêtres. Cette croix sera bénite, le 15 septembre prochain ».

Cette lettre porte la date du 17 juillet 1944. Elle me parvint avec un retard considérable. Avec la petite photographie qui l'accompagnait, elle a été le dernier signe de vie que put me donner l'abbé Mathis.

Kervilio fut privé, pendant des mois, du service postal d'Auray, à cause de sa proximité de la « poche allemande » de Lorient. Je ne devais apprendre qu'en février 1945, la mort du vaillant curé fusillé par l'envahisseur le 9 septembre 1944 sur la place d'Hennezel, à l'emplacement même où devait être béni le calvaire du à la générosité du descendant des verriers de Clairefontaine. Aujourd'hui, à cet endroit s'élève le monument commémoratif du martyre de l'abbé Mathis.

Le souvenir de notre visite de 1929 et de la découverte du petit calvaire sont désormais inséparables de l'ultime témoignage d'amitié que j'ai reçu du malheureux curé.

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