61 - NOTE DE SEPTEMBRE 1947

 


LE MARTYRE DE L'ABBE MATHIS CURE DE HENNEZEL

 

 

LE 9 SEPTEMBRE 1944

 

SOMMAIRE

 

Mes relations avec les abbés Jean Noël et Pierre Mathis, curé de Hennezel depuis 1939 - La retraite allemande d'août 1944 - Le maquis des Bocards. Dévouement de l'abbé Mathis. Il est arrêté par la Gestapo. Le 7 septembre, attaque d'autos allemandes par des parachutistes anglais, deux morts, un blessé. Le 9, l'ennemi envahit le village, otages, perquisitions, pillages. Descente de la Gestapo au presbytère. Elle y découvre des documents concernant les maquisards. Le curé est arrêté, torturé, massacré. son attitude héroïque - Incendie du presbytère - Exactions de l'ennemie à Clairey - Hommage de la paroisse au prêtre martyr - Ses obsèques du 12 septembre - Allocution du doyen de Darney - Le 16 octobre, l'évêque de Saint Dié préside un service solennel - Le monument commémoratif - Série de photographies émouvantes.

Tandis que se ravivaient dans ma mémoire les impressions de mon pèlerinage à Hennezel du 10 juillet 1929, j'étais hanté par les détails du drame atroce qui s'est déroulé dans ce petit village il y a trois ans. Le presbytère de l'abbé Gérard en fut le théâtre et le successeur du vieux curé, la victime. Je m'en voudrais de poursuivre mon récit sans évoquer le martyr du jeune prêtre auquel j'ai dédié ces souvenirs.

Je raconterai un jour comment étaient nées mes relations avec l'abbé Pierre Mathis et son prédécesseur, l'abbé Jean Noël, actuellement curé doyen de Plombières. Je dirai l'amitié qui me lia à ces deux prêtres dont le zèle apostolique sut conquérir, en peu de temps, les coeurs de leurs paroissiens. J'expliquerai comment une affinité de sentiments et de goûts communs transformèrent bientôt cette amitié en une affection profonde, entre l'abbé Mathis nommé curé d'Hennezel au printemps de 1941 et son lointain « paroissien de coeur » ainsi que j'aimais à me qualifier.

Aujourd'hui, je tiens à revivre en imagination la tragédie qui se déroula sur les lieux que je viens de décrire, au presbytère où j'ai logé il y a près d'un demi siècle, sur la place communale à l'emplacement même de la demeure de l'abbé d'Hennezel de Francogney, doyen de Xertigny.

Les événements sont faciles à reconstituer, il me suffit de relire le récit qu'a fait le doyen de Plombières du martyre de son confrère. Et comme il s'agit de faits à jamais mémorables dans l'histoire d'Hennezel, j'estime qu'ils doivent être relatés en détail dans ce recueil. Je compléterai l'abbé Noël à l'aide des documents que m'ont communiqués deux paroissiens amis de l'abbé Mathis, M Bertholdi, maire d'Hennezel qui fut mêlé au drame, son rapport officiel. Le commandant Klipffel, des lettres détaillées, et les discours prononcés aux obsèques de l'immortelle victime de la Gestapo.
Au début de septembre 1944, la première armée allemande harcelée depuis Pa­ris, reflue vers l'est en résistant. Un fort contingent de troupes fraîches est massé dans la région de St Dié. Ces troupes s'apprêtent à contre-attaquer dans la direction d Épinal et de Remiremont. Leur mission est de soutenir la retraite de la première armée, en l'aidant à résister à la poussée française. Les chars d'une division blindée allemande cherchent à atteindre Dompaire et Attigny. La forêt de Darney encerclée, va-t-elle se trouver au centre de la bataille...

On escompte l'arrivée des américains, la division Leclerc n'est plus, chuchote t'on, qu'à une vingtaine de kilomètres de Darney. Des parachutistes anglais circulent ça et la, gênant les allemands.

A Hennezel, la population reste courageuse et confiante. Le jeune curé donne l'exemple. Il sème l'espoir. Comme toujours, il se dévoue. Ne fait-il pas de fréquentes visites d'amitié et de réconfort à un groupe de deux cent cinquante jeu­nes gens, réfractaires au travail obligatoire, qui se cachent entre Vioménil, Grandrupt et Hennezel... leur centre est dans le bois des Bocards, près du Grandmont. Dans cette bande, l'abbé Mathis compte plusieurs de ses jeunes paroissiens. Il aide au ravitaillement moral et matériel du groupe. Il assiste, au milieu d'eux, à un parachutage qu'il juge magnifique. Il le racontera, dit-il, après la guerre dans son bulletin paroissial, car il se passionne pour l'histoire du pays

Le 7 septembre, plusieurs centaines d'allemands arrivent en camions à Hennezel-Grandrupt. Le village reste paisible jusque la, est surpris. Il s'inquiète. Le curé d'Hennezel apprend que l'ennemi, mis au courant de l'existence du maquis de Grandrupt, se dispose à l'encercler. Le jeune prêtre n'hésite pas, il enfourche sa motocyclette et, par des chemins détournés, cherche à atteindre le camp des Bocards. Hélas... l'ennemi l'a déjà découvert, il a fait des morts, des blessés, des prisonniers. L'abbé Mathis arrive trop tard, il tombe sur une patrouille allemande, dans les bois, entre le Hatrey et Grandrupt.

Fait prisonnier, le curé est conduit au village de Grandrupt où on le garde toute la journée. Il est questionné, injurié, ridiculisé par la Gestapo. Durant ces heures de détention, il conserve son calme, il récite paisiblement son bréviaire. « Plus de vingt fois, dira t'il, le lendemain, mon gardien, me montrant mon livre de prières, m'a dit » « ça bon pour toi, mais toi terroriste, pas bon ».

Le soir, un officier l'interroge une dernière fois.

- « Vous dites que vous alliez faire le catéchisme aux enfants de Grandrupt, que vous n'êtes pas de ce camp... avouez que vous en connaissiez l'existence. Pourquoi ne l'avoir pas dit... ».

- « Oui, répond le curé, je le connaissais, mais comme français, je ne dénonce pas mes compatriotes, comme prêtre, je ne dénonce pas mes paroissiens. Et vous que feriez-vous à ma place... ».

L'officier, un soldat, lui répond,

- « Vous avez raison, vous êtes libre. Mais ne vous occupez plus de ces questions ».

Le vaillant abbé, le corps contusionné, les pieds écorchés, regagne son presbytère à la tombée de la nuit. C'est le jeudi soir, il ignore que le matin même s'est déroulé, non loin de chez lui, un épisode sanglant dont lui, curé, sera rendu responsable. .

Vers neuf heures du matin, deux autos allemandes venant de Darney, sont arrivées à Hennezel. Elles ont été accueillies par deux rafales de mitrailleuses, tirées par des parachutistes embusqués à l'est du village. La première voiture fut presque aussitôt immobilisée. Ses occupants s'enfuirent dans les bois. La seconde voiture, ayant fait une embardée, s'engagea dans le chemin conduisant à la Pille puis elle stoppa à son tour, deux occupants étaient tués, un autre blessé, le quatrième était indemne. On avait transporté et soigné le blessé dans la première maison du village, mais peu de temps après, un détachement de F.F.I. était venu prendre les deux allemands survivants et les avait emmenés dans la forêt.

Au milieu de l'après midi, le maire, M. Bertoldi, a fait relever sur place et transporter à la mairie, les deux cadavres, un lieutenant-colonel et un Ober­feldwebel de la Feldgendarmerie et de la Gestapo. Cette nouvelle émeut l'abbé Mathis.

Le lendemain vendredi, dés le matin, le curé et le maire se préoccupent du sort des deux tués. M. Bertoldi rédige un rapport et le fait porter à la gendarmerie de Darney, il demande que soient prévenues les autorités allemandes. Mais le téléphone est coupé. Le rapport est remis au commandant d'un groupe sanitaire allemand, cantonné à Darney et demandant de le transmettre à Épinal.

Le samedi 9 septembre, aucune réponse à son appel n'étant parvenu, le maire, d'accord avec le curé, décide de faire au début de l'après midi, des obsèques décentes aux deux cadavres et de les inhumer dans le cimetière communal.

Peu après la cérémonie, vers trois heures, le centre du village est encerclé par plus de trois cents allemands venus en camion pour se venger sur la population civile, considérée comme responsable de la double mort de l'avant veille.

Une perquisition sévère commence dans toutes les maisons, sous prétexte de rechercher les membres du groupe de résistance originaire de Hennezel.

La plupart des hommes, terrorisés, s'enfuient dans les bois, poursuivis par les mitrailleuses et les coups de fusils. Quinze hommes, restés dans les maisons sont arrêtés comme otages et conduits à la mairie. On enferme le plus grand nombre dans la salle d'école, le maire, son secrétaire et trois femmes dans la salle des délibérations. Tous ces otages sont longuement interrogés.

Pendant ce temps, à travers la commune, se multiplient les perquisitions et les vols, poulets, lapins, oeufs, bouteilles de vin, etc.. les allemands cherchent aussi les automobiles. Au presbytère, ils trouvent M. le curé en compagnie d'un séminariste, l'abbé Marion, qui passe ses vacances à la verrerie de Clairey comme précepteur chez M. Didot.

Dans le bureau de l'abbé Mathis, les allemands vont découvrir un historique du maquis des Bocards, que le curé avait commencé d'écrire. Sa passion de l'histoire va lui être fatale... sa mère, une brave paysanne qui tient son ménage, a déjà brûlé ce récit qu'elle jugeait compromettant, pendant l'absence de son fils avant hier. Mais à son retour, l'abbé a voulu le reconstituer. « N'oublions pas, a-t-il dit, qu'après la guerre, cette histoire remplira une des plus belles pages de mon bulletin paroissial ».

Au moment où la Gestapo se présente à la porte du presbytère, l'abbé est occupé, suprême imprudence, à polycopier des états nominatifs à en-tête des maquisards. Les allemands emmènent le curé à la mairie et l'y enferment avec les au­tres otages. Puis ils fouillent dans les papiers du prêtre. Ils trouvent tout de suite, le fameux état et un bordereau anglais de parachutage, pièce de valeur pour les archives de l'historien, mais pour l'ennemi, preuve indiscutable de sa connaissance des opérations du maquis. Fous de rage, les hommes de la Gestapo, ramènent l'imprudent abbé à la cure. Dans son bureau, ils lui présentent les pièces à conviction. Ils l'accablent de grossières injures, le maltraitent odieusement. Pris par le col de sa soutane, le prêtre est jeté de l'un à l'autre, sommé de s'expliquer, roué de coups. De la chambre voisine, sa mère l'entend gémir. Une demi-heure après, encadré de soldats, le pauvre curé sort de la pièce, le visage ensanglanté. Au passage, sa mère l'embrasse rapidement « maman je suis perdu » lui dit-il, tandis qu'affolée, elle le regarde partir. On le conduit, ainsi que le séminariste, dans l'écurie d'une maison voisine. La, sans souci de son caractère sacerdotal, le prêtre est dépouillé de sa soutane, criblé de coups avec une brutalité inouïe. Par la lucarne, il aperçoit une voisine et lui dit « C'est fini, priez pour moi... ».

Pendant ce supplice, sur la place du village, le commandant du détachement dit au maire, « Les lois de la guerre sont formelles. Nous allons fusiller votre curé ». Et il lui déclare qu'il doit ainsi que le secrétaire de mairie, assister à l'exécution. On voit alors l'abbé Mathis sortir de l'écurie. Il est sans soutane, les mains liées derrière le dos, le visage tuméfié. Il traverse la rue la tête haute. On le conduit dans la cour de l'école devant le lavoir, entre son église et son presbytère. Un seul adoucissement dans cette agonie, le dernier geste amical de M. Bertoldi qui, malgré les allemands, embrasse le pauvre prêtre. Le maire et le curé ne peuvent échanger aucune parole, mais leurs regards se comprennent.

A quelques mètres du mur, les bourreaux font arrêter leur victime. L'abbé tente de faire face mais un sous-officier le bouscule, il doit se retourner vers la muraille. Alors, de toutes ses forces et sans trembler, l'abbé Mathis crie, « vive la France ». A environ cinq mètres de distance, ce sous-officier lui tire dans le dos une rafale de mitrailleuse. Le prêtre veut encore tourner la tête, il s'écrie de nouveau d'une voix claire, « Vive la France » puis il s'effondre, la face en avant. Le bourreau s'approche et achève la victime d'un coup de revolver dans l'oreille.

Il n'y a pas deux heures que le malheureux curé a été arrêté, il est cinq heures et demie .... Les allemands recouvrent le cadavre d'un sac et l'abandonnent sur place.

Aussitôt que l'abbé a quitté le presbytère, un pillage horrible de la maison commune, vivres, vin, linge, objets divers, « tout, dit M. Bertoldi, fut pris par ces bandits qui ne laissèrent même pas la mère de leur victime prendre ses propres vêtements et ses chaussures, Mme Mathis dut se réfugier dans une maison voisine, en tablier de cuisine et en pantoufles ».

Leur pillage terminé, les allemands avaient entassé des fagots dans toutes les pièces. Ils les arrosèrent d'essence et y mirent le feu. Tout le bâtiment fut bientôt la proie des flammes. Dans son agonie, le curé Martyr avait eu cette vision atroce, en arrivant au lieu de son supplice, en même temps que lui, allait être anéantie son oeuvre d'historien et tout ce que sa mère et lui possédaient.

- « L'incendie du presbytère, m'écrivit le commandant klipffel, a détruit tous les documents que notre curé avait eu la patience d'accumuler pour faire l'histoire de sa paroisse, livres, papiers, photographies, gravures, objets, blasons - il avait la passion de l'héraldique - dossiers sur les verreries qu'il vous avait demandé de lui communiquer, etc... de tout cela, il ne reste rien ».

Pendant l'exécution, le commandant allemand dit au maire, « trois habitants faisaient partie des maquisards. Nous connaissons leurs noms. Nous allons brûler leurs maisons ».

Il s'agissait d'un jeune homme de Clairey, d'un autre du hameau de Ste Marie d'un troisième de la grange Bresson.

Alors un détachement part aussitôt pour Clairey. Là-bas, il pille la demeure du jeune réfractaire. Les porcs sont tués à coup de revolver. Lapins et volailles sont volés. Enfin, le feu est mis à la maison. Heureusement les pillards ne vont pas jusqu'aux autres villages. Ils reviennent à Hennezel et à six heures et demi, quittent le village.

Une heure environ après leur départ, la population terrorisée reprend conscience du drame. Mme Mathis est conduite au lieu du supplice de son fils. On transporte le corps à l'église. La tête enflée et tuméfiée, souillée de boue et de sang coagulé qui a coule par le nez, la bouche et l oreille, est nettoyée, pieusement pansée.

Le corps du curé martyr, revêtu d'une aube et des ornements sacerdotaux est exposé dans le choeur de son humble église. Le visage tourmenté s'apaise. Il redevient très beau. Pendant deux jours, une foule de fidèles afflue, prodiguant des fleurs autour de la dépouille de l'héroïque prêtre, aimé de tout le monde.

Trois jours plus jard, le mardi 12 septembre, ont lieu dans l'intimité, car l'ennemi occupe encore le village, les obsèques de l'abbé Mathis.

L'abbé Vallance, doyen de Darney préside la cérémonie. Il évoque l'oeuvre accomplie à Hennezel en trois ans de ministère, par le jeune curé. S'adressant aux paroissiens en larmes qui se pressent autour de la dépouille de leur pasteur martyrisé, il dit,

- « Votre curé se préparait à ériger un calvaire et il y est monté comme son divin maître, à l'age de trente trois ans, comme lui, la face tuméfiée,comme lui après une dernière marque d'amour à sa mère. Il y est monté dépouillé de tout, même de sa soutane, après avoir vu anéantir dans les flammes tout ce qu'il possédait, ses chers souvenirs, le fruit de son travail, les objets dont son âme d'artiste avait meublé son presbytère, mais il tenait très haut son âme de prêtre que personne ne pouvait lui arracher. Il a fait le sacrifice de sa vie pour que sa paroisse soit épargnée et il est mort pour que vive la France, ce fut son dernier cri. La France qu'il a tant aimée et si bien servie...

Deux jours plus tard, les avant-gardes de la division Leclerc arrivaient à Hennezel et l'ennemi se retirait sans combat. Quant au jeune séminariste, précepteur à la verrerie de Clairey et qui avait été victime de son amitié pour l'abbé Mathis, les allemands l'avaient emmené avec eux. On retrouva son corps dépouillé de sa soutane, aux environs d'Épinal, à coté de trois autres cadavres. La nuque percée d'une balle, les membres brisés rendaient le corps à peine identifiable.

l'abbé Marion

Il fut possible, après un mois, le 16 octobre, de célébrer à la mémoire de l'abbé Mathis, un service solennel, présidé par l'évêque de St Dié. La cérémonie réunit une immense foule. Sur la place du village, à l'endroit même où est tombé le malheureux curé, l'instituteur a planté quatre petits poteaux blancs, surmon­tés de drapeaux pour encadrer le sol qui a bu le sang du martyr. La, M. Bertoldi le coeur gonflé par une émotion qu'il ne peut contenir, évoqua les circonstances du drame.

Je ne devais connaître ces douloureux évènements que quatre mois plus tard, par une lettre du commandant Klipffel. Ce message me parvint par l'intermédiaire des maires d'Hennezel et de Plougoumelen.

A cette époque, les courriers étaient interrompus et Kervilio encore en zone de guerre à cause de la « Poche de Lorient » où l'ennemi se cramponnait. La poste d'Auray ne fonctionnait pas. Mon vieil ami de Thiétry m'apprenait en même temps qu'un monument devait être érigé à l'emplacement où l'abbé avait été massacré. J'envoyai à M. Bertoldi, ma participation à cet hommage sous l'anonymat « un pa­roissien de coeur ».

Le monument ne fut réalisé que l'an dernier, il a été inauguré le 8 septem­bre 1946. C'est un amas de grès rose, en forme d'autel où on accède par six ou sept marches. Au centre se détache, gravé très en relief, un écusson à nos armes, ces trois glands dont l'abbé Mathis aimait à parer son église, et ses ornements liturgiques qu'il était parvenu à faire adopter officiellement par la commune.
 Des croix de lorraine sont sculptées aux deux extrémités de l'autel que surmonte une croix et socle de marbre sur lequel on lit cette inscription,


A LA MEMOIRE VENEREE ET GLORIEUSE

DE MONSIEUR L'ABBE PIERRE MATHIS

CURE d'HENNEZEL

HEROS DE LA RESISTANCE NATIONALE

TORTURE ET FUSILLE PAR LES ALLEMANDS

EN HAINE DE LA FRANCE ET DE LA FOI

LE 9 SEPTEMBRE 1944

HOMMAGE DE SES AMIS ET DU CONSEIL MUNICIPAL


Cette inscription rédigée en termes un peu laïque, ne fut pas sans choquer les meilleurs paroissiens d'Hennezel. Nul doute que la victime ne l'eut aussi senti. Il faut noter qu'après les élections de 1945, M. Bertoldi ne fut pas renommé maire de la commune, malgré le dévouement et l'abnégation dont il avait fait preuve pendant l'occupation. Ce fut un industriel étranger au pays, qui ceignit l'écharpe et utilisa les fonds recueillis par son prédécesseur pour l'érection du monument. Il en arrêta la forme et rédigea lui-même l'inscription.

Tels sont les évènements tragiques qui se sont déroulés à Hennezel depuis la paisible visite que j'ai racontée, leur évocation était indispensable ici.

En rédigeant cette note, j'ai sous les yeux d'émouvantes photographies que Mm. Klipffel et Bertoldi ont eu la délicate attention de m'envoyer, le corps de l'abbé Mathis reposant dans son église, entouré de cierges et de fleurs, le petit carré de terre au centre ou village, où s'effondra le vaillant curé sous les balles d'un ennemi barbare. Une vue du monument qui s'élève aujourd'hui à cet emplacement sacré, enfin le désolant spectacle des ruines du presbytère après l'incendie, des pans de murs déchiquetés et calcinés se découpant sur un ciel d'au­tomne, à l'arrière une somptueuse gerbe de roses blanches, qui jaillit du jardin resté vivant.

Ces photographies voisinent avec d'autres que m'avait offertes l'abbé Mathis au cours de nos trois années de correspondance.

La plus ancienne représente le jeune abbé mobilisé sur le front pendant la « Drôle de guerre ». Il était maréchal des logis au deuxième groupe d'automitrailleuses. Le cliché a été pris quelques jours avant la débâcle de 1940. Le futur curé d'Hennezel devait être fait prisonnier avec sa formation peu de temps après.

La deuxième photographie date de 1941. Le nouveau curé d'Hennezel m'apparut dans l'exercice de son ministère parcourant la route de la Hutte, avec cette mo­tocyclette qu'il chevauchait l'avant veille de sa mort, lorsque l'ennemi l'arrêta près du Hatray.

La troisième, le représente assis au milieu du cercle St Stanislas, groupe d'une trentaine de jeunes gens de la paroisse.

Sur une quatrième photographie, voici dans une rue du village, la procession des premiers communiants. Le cure d'Hennezel est précédé de ses grands enfants de choeur qui portent tous, sur la poitrine, cousu à même leur aube, l'écusson aux trois glands, brochant sur deux cannes de verriers et entouré de notre devi­se, « Deus me ducit », armoiries que le cher abbé, passionné de tradition, avait fait adopter avec enthousiasme par toute la jeunesse de sa paroisse.

Sur une autre épreuve, voici le curé, en vêtement sacerdotal, photographié au milieu de sa chorale des grands enfants de choeur, tous portant l'aube brodée à nos armes. Parmi cette élite, se trouve un grand jeune homme de vingt deux ans en civil, c'est le bras droit du curé dans ses oeuvres, c'est Paul Bertoldi, le fils du maire d'Hennezel, qui devait périr quelques mois plus tard en Allemagne écrasé par les bombes américaines.

Puis sur du papier à lettre de l'association sportive, l'Espérance St Stanislas, dont l'en-tête porte nos armes et deux de nos devises, diverses photogra­phies représentant des membres de l'équipe de basket-ball que le curé avait fondée et qu'il m avait demande d'encourager en acceptant de patronner le challenge des gentilshommes verriers.

Enfin, en dernier témoignage du zèle pastoral de l'abbé Mathis, recueilli huit jours avant le drame du 9 septembre, le curé prêchait en plein air à Clairefontaine, lors de la interdiction du calvaire qu'il venait de faire relever à l'emplacement de celui que les maîtres de la verrerie avait fait ériger, au mi­lieu du XVIII° siècle.

Tous ces témoignages sont maintenant inséparables des souvenirs que je conserve de mes voyages au pays des ancêtres. C'est pourquoi j'ai tenu à les men­tionner à la suite de cette relation du martyr inspirateur de ces récits.

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