22 - MIRECOURT

 

SOMMAIRE

Les Hennezel qui y vécurent, M. de Grandmont, Basle de Bazoilles, procureur du roi et ses enfants, Léopold de Gemmelaincourt (Voir la Branche de Gemmelaincoiurt), incarcéré à Mirecourt sous la terreur - Deux industries principales, les dentelles et la lutherie – L’église les halles - La place où fut dressé l’échafaud où allait être guillotiné M. de Gemmelaincourt - Son évasion la nuit qui précéda son exécution - Evocation de cette tragique aventure - Dompvallier, maison de campagne de M. de Bazoilles -Poussay, jadis abbaye de chanoinesses - Un curieux puits.

 

Mirecourt, cette sous préfecture fut, pour nos pères, pendant des siècles, une capitale. Elle a été le siège du bailliage de Voge, l’un des quatre grands du duché de Lorraine. Comment ne pas faire au passage connaissance de Mirecourt !

 

Cette ville éveille pour moi bien des souvenirs. Sans parler des assises et des assemblées de la noblesse du pays de Vosges qui, du moyen age à 1789, se sont tenues dans ses murs, en y attirant les représentants de nos familles, que de silhouettes de Hennezel pourraient m’apparaître si j’errais dans ses rues.

 

Tout d’abord, M. de Grandmont dont nous foulions, dimanche dernier, la sépulture dans l’église de Viomenil. Après la mort de son mari, notre arrière grand-oncle, Mme de Grandmont avait quitté son château familial pour passer les vingt dernières années de sa vie à l’ombre des couvents de Mirecourt. Puis pendant la majeure partie du XVII° siècle, vécut ici un Hennezel magistrat, le seul de notre nom qui ait porté la robe. Issu de la branche de Champigny et qualifié chevalier et Sgr. de Bazoilles, ce Hennezel était curieusement prénommé Basle. Fixé à Mirecourt par son mariage, habita cette ville jusqu’à sa mort après avoir été successivement, commissaire aux saisies réelles et procureur du roi au grand bailliage de Vosges. Sur ses vieux jours, il mourut à quatre vingt onze ans, il était chargé de la direction de l’hôpital.

 

Enfin, la petite ville où nous allons pénétrer, conserve la mémoire d'un drame dont le héros fut l’arrière grand-père de ma belle-fille, Léopold de Hennezel Sgr. de Gemmelaincourt, incarcéré ici en pleine terreur. Condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, ce gentilhomme eut l’audace de s’évader de la prison de Mirecourt, dans la nuit qui précéda le jour de son exécution (30 juillet 1793). Sa tragique aventure a été contée récemment par un historien local. Le théâtre du drame n’a guère changé depuis cette époque.

 

En entrant dans Mirecourt par le sud, il n’y a qu’à suivre la rue, droit devant soi, pour traverser, de part en part le coeur de la ville. Nous arrêtons l’auto sur une place, près de l église. Voici à la devanture d’un libraire deux cartes postales naïves et de goût populaire « souvenir de Mirecourt » rappelant les deux industries principales de la ville, la fabrication des instruments de musique, orgues et lutherie, et celle de la célèbre dentelle, dite de Mirecourt. L’une des cartes représente, sur fond noir, un violon et son archet, la table de l’instrument est tapissée d’une quinzaine de vues de la ville. Sur l’autre carte une dentellière au travail, assise sur le pas de sa porte, est encadrée d'un large volant de dentelle au fuseau et d’une vingtaine de vignettes permettant de connaître, en un instant, les divers aspects de la ville.

 

Ces métiers sont minutieux et propres. Ils demandent à ceux qui les exercent de l'ordre et de la méthode, aussi Mirecourt n'a t-il pas l'aspect d'une ville industrielle, les rues et les façades des maisons sont bien entretenues. La vie de cette population, un peu artiste, doit s’écouler calme et paisible.

 

Près de l’endroit où nous stationnons, sont groupés, dans un rayon rapproché les monuments qui ont connu les Hennezel dont je recherche la trace.

Visitons d’abord l’église, elle est ancienne, on y pénètre par un porche ogival, situé sous le clocher. Sous la voûte de la nef se maria Basle de Hennezel, jeune avocat à la cour souveraine de Lorraine, avec la fille d’un riche bourgeois de la ville (13 novembre 1725). Leurs sept enfants furent baptisés dans cette église.

 

M. et Mme de Bazoilles comptaient parmi les personnalités de la région. Ils tinrent sur ces fonds baptismaux, nombre d’enfants de parents et d’amis. Leur fils aîné, Stanislas, fit à l'âge de quinze ans ses preuves de noblesse, pour être admis au nombre des pages du roi dont il portait le prénom (31 mai 1757). Le cadet embrassa la carrière des armes, il mourut colonel au service de l’impératrice Marie-thérèse. Ce gentilhomme épousa aussi une Mirecurtienne, fille d'un magistrat. Devenue veuve, celle-ci se remaria avec l’héritier de la terre de Bettoncourt, où nous passerons tout à l’heure.

Basle et sa femme sont morts peu de temps avant la  révolution (1785 et 1788) leurs corps reposent dans cette église, peut-être retrouverait on leurs épitaphes sous les bancs qui s’alignent du haut en bas de la nef.

 

Nous avons frôlé, tout à l’heure, un beau monument de l’époque louis XIII, les halles. Ses arcades en plein cintre, ses hautes fenêtres et sa tourelle d'angle sont ornées de gros blocs de grés appareillés auxquels trois siècles ont donné une belle patine.

 

Basle ayant exercé pendant quelques années, l’office de commissaire aux saisies réelles, nul doute qu’il n’ait été souvent dans ce vieux monument.

M. et Mme de Bazoilles avaient certainement ici pignon sur rue. La plupart des maisons de Mirecourt semblent au moins centenaires, on devrait retrouver aisément leur logis, il suffirait d’examiner le cadastre et de compulser les archives de la ville, elles sont très riches.

 

Un autre souvenir me poursuit, c’est sur cette petite place qu’un des derniers jours de juillet 1793, avait été dressé l’échafaud sur lequel devait tomber la tête de M. de Gemmelaincourt. Un peu plus loin à gauche, voici l’hôtel de ville, jadis château ducal, où le gentilhomme comparut plusieurs fois devant le directoire révolutionnaire. Derrière, au milieu de cette petite rue, la prison où il resta incarcéré trois mois et demi. Le porche d’églises, les pierres de ces monuments, la façade de ces maisons ont été témoins de ces journées tragiques.

 

En leur présence, je résume, pour ma fille :

 

Depuis plusieurs années, le paysan maire de Gemmelaincourt était en désaccord avec son seigneur, au sujet de la chasse. Devenu procureur de la commune en 1793, cet homme jaloux et haineux jura de perdre son ennemi. Au début d'avril, il le dénonça au district révolutionnaire, il l’accusait d’avoir conseillé à l’un de ses domestiques de se cacher, pour échapper à la conscription (8 avril 1793). Le lendemain de cette délation, des gendarmes vinrent arrêter chez lui le gentilhomme, ils le conduisirent à Mirecourt et l'enfermèrent dans la maison d’arrêt.

 

Le directeur d'Epinal demanda alors au ministre de la justice que l’ex-seigneur de Gemmelaincourt fut reconnu coupable « d'avoir empêché le recrutement des volontaires défenseurs de la patrie ». Mais la culpabilité du citoyen d’Hennezel ne put être suffisamment établie, on le maintint cependant sous les verrous. Quelques jours plus tard, le tribunal du département retenait contre lui un grief autrement plus grave, celui d’avoir voulu émigré au début de la révolution et de ne pas être rentré en France dans les délais prescrits.

 

Mis au secret,  l’inculpé protesta à l’aide de nombreux témoignages d’habitants de son village et des environs, il parvint à prouver qu’il était bien en règle avec la loi. L’enquête dura plusieurs semaines. Le maire de Gemmelaincourt crut alors que son ci-devant seigneur allait lui échapper, fou de rage, il fit récuser la plupart des témoins et obtint que le dossier de sa victime fut remis à l'accusateur public. Le jugement fut fixé au 30 juillet et l’exécution devait avoir lieu le jour même (23 juillet 1793).

 

Mais Léopold d'Hennezel n'avait pas que des ennemis, sa femme, son défenseur certains hommes de loi qui trouvaient excessif l’acharnement du procureur de Gemmelaincourt, tentèrent d’ultimes efforts pour sauver la tête du malheureux, on l’autorisa à rédiger une dernière requête pour demander un délai lui permettant d’apporter de nouvelles preuves de son innocence. L’incroyable fureur dont le poursuivaient ses adversaires troubla-t-elle la conscience de juges plus modérés que les autres... on peut le supposer. Toujours est il que, quelques jours plus tard, le directoire de Mirecourt accordait au condamné le sursis demandé. Le tribunal d'Epinal confirma à son tour cet arrêté. Il prorogea le délai accordé (29 juillet 1793)

 

Cependant, le matin même du jour où était rendu le jugement, un lundi, une  équipe d’ouvriers s’est mise au travail sur la place, en face de l’église, elle monte la guillotine qui servira le lendemain à décapiter les condamnés, Léopold d'Hennezel et un autre détenu nommé Colin, homme de loi à Ville sur Illon, accusé lui aussi d'émigration, on l'avait interné dans la même cellule que Gemmelaincourt.

 

La nouvelle du sursis accordé se répand bientôt en ville. Le beau-frère du geôlier, passant dans la rue, au milieu de l’après-midi, crie aux monteurs de la sinistre machine « ne vous pressez pas tant, d’Hennezel a obtenu un sursis ». Mais les ouvriers n’ont pas reçu de contre-ordre, ils continuent leur travail, jusqu’à la fin de la journée.

 

Dans la soirée, vers six heures et demie, un cabriolet venant d'Epinal s’arrête devant une auberge de la ville. Deux voyageurs en descendent, Mme de Gemmelaincourt et son neveu. La femme de l’aubergiste, curieuse, les questionne sur le bruit qui court, au sujet du sursis « oui, répond Mme d’Hennezel, et j’espère bien tirer mon mari de peine ».

 

A la prison, la citoyenne d’Hennezel est connue, elle y est venue plusieurs fois rendre visite à son époux, elle y a même couché, ainsi que sa fille Claire. En arrivant, elle annonce au geôlier, le père Lafleur, et à sa femme, la bonne nouvelle qu’elle apporte d'Epinal. Quant à M. de Gemmelaincourt, il tient à fêter le délai accordé, il envoie chercher un pot de vin chez le cabaretier du coin. Les deux condamnés et le ménage du gardien le vide joyeusement. Il faut dire que M. d'Hennezel entretenait de bons rapports avec son geôlier, celui-ci lui permettait de circuler à sa guise dans l’intérieur de la prison, il pouvait même aller jusqu'à la porte du vestibule donnant dans la cour de la mairie.

 

Le lendemain, à l’aube, une nouvelle stupéfiante se répand dans Mirecourt, les deux condamnés à mort se sont évadés pendant la nuit. Ils ont fait une brèche dans le mur de leur cellule, située au premier étage de la prison, au-dessus de la cuisine. A l’aide de draps noués ensemble, ils se sont laisses glisser dans le jardin voisin et ont pris la fuite sans être remarqués.

 

L'émoi est grand en ville. Une foule de curieux se précipite à la prison et menacent le gardien en l’accusant de complicité. Les charpentiers qui achèvent le montage de l’échafaud, en apprenant que l’exécution n’aura pas lieu, puisque les prisonniers se sont échappés, injurient le père Lafleur qui passe devant l’église, en revenant d’avertir le maire. Celui-ci se rend immédiatement sur les lieux avec un autre conseiller, pour examiner la cellule des fugitifs.  Puis c’est le juge de paix accompagné d’un chapelier voisin, qui constatent comment a été faite la brèche, ils trouvent les draps qui pendent encore à l’extérieur du mur. (Voir le signalement de 1793, document pdf).

 

Une enquête commence aussitôt, suscitant des dépositions passionnées et contradictoires. Certains témoins ayant pour mobile la vengeance, la ville de Mirecourt est sens dessus dessous. L’affaire dura plusieurs mois, il ne fut jamais possible de savoir si les évadés avaient eu des complices. A l’automne, le tribunal de Nancy  acquitta le geôlier et sa femme de l’inculpation qui pesait sur eux (18 septembre 1793).

 

Quant à M. de Gemmelaincourt, il parvint à gagner la Neuve Verrerie, il s’y cacha chez ses neveux jusqu’au moment où il put passer la frontière et rejoindre ses deux fils à l’armée de Condé. On raconte un amusant épisode de cette fuite. Le matin de leur évasion, comme les deux condamnés s’éloignaient de Mirecourt à travers champs, ils croisèrent un groupe de paysans qui, sans les connaître, s’informèrent de l’heure à laquelle devait être coupée la tête du ci-devant seigneur de Gemmelaincourt. Sans se troubler, celui-ci répondit « dépêchez-vous, car vous risquez d’arriver trop tard ».

La tradition s’est perpétuée, non sans cause probablement, que la municipalité de Mirecourt avait favorisé la fuite des détenus, condamnés à mort injustement. Dans la famille, on raconte que c'est claire d'Hennezel qui organisa l'évasion de son père et parvint à le cacher immédiatement après. Il est émouvant de se remémorer ce drame dans le cadre de cette petite ville, probablement la même depuis cent trente cinq ans.

 

En remontant le faubourg nord de Mirecourt, vers Nancy, se greffe à gauche la route nationale conduisant à Neufchâteau. A quatre  kilomètres d’ici, elle traverse Dompvallier. Basle Hennezel possédait dans ce petit village une maison de campagne où il résidait volontiers chaque été. Existe-t-elle encore...

Nous traversons Poussay, jadis célèbre par une abbaye de chanoinesses. A ce chapitre, comme à celui de Remiremont, ne pouvaient être admises que des filles ayant prouvé leur seize quartiers de noblesse. Le monastère disparut pendant la révolution.

 

La curiosité du village est un puits très profond que ceinture une énorme margelle, certainement très ancienne. Ce puits est recouvert d’un toit immense, soutenu par quatre grosses colonnes de pierres, leurs socles et leurs chapiteaux font supposer que ces colonnes proviennent de l’église des chanoinesses  démolie sous la terreur, tous les matériaux et l’abbaye furent dispersés et vendus par la nation.

 

En sortant de Poussay, nous abandonnons la route nationale pour suivre la vallée du Madon, dans la direction de Bettoncourt.

  

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