27 - Ste Menehould (Carte)

 

SOMMAIRE

 

Trois mois de cantonnement avec la S.S. 44 fin 1916 - Évocation du drame de Varennes - le secteur de notre D.I. en Argonne, le bois de la gruerie - Le four de Paris et son château ruiné (propriété de la baronne de Charnace, grand-mère de mon gendre) - les troupes au repos dans la ville, mènent la bonne vie  - Le moral des français à cette époque - Popote de la S.S.44, opinions, discussions - Nos épreuves familiales - Portrait et mentalité de mes camarades et du lieutenant - La liqueur de l’abbé François - La butte du château, l’église, le cimetière - Les angoisses d’un envahi - Note de 1945, sinistres prévisions réalisées - La fausse paix de 1919 - Redressement allemand et insouciance française – Le coût de la libération, la France saccagée et sanglante, en tutelle - Le retour des responsables du désastre de 1940 – L’esplanade, l’église St Charles, l’hôtel de ville - Vallée de la Biesme - Beauté de la forêt, jadis royaume séculaire des gentilshommes verriers - Les Islettes et ses faïences - Clermont-en-Argonne.

 

Voici Ste-Menehould, petite ville pittoresque, adossée vers l’est, aux monts boisés de l’Argonne. J’en connais tous les recoins, j y ai vécu trois mois en 1916 (20 septembre au 30 décembre 1916). J étais à cette époque sous-officier à la S.S. 44. Cette unité était arrivée ici au début de l’automne, après avoir pris part pendant l’été, à ces combats fort durs, sur le front de Péronne avec une division du VII° corps d'armée en liaison avec les anglais.

 

Nous arrêtons la voiture dans la rue principale, non loin de l’ancienne poste aux chevaux, endroit tragique pour le sort de la monarchie, c’est là que, le soir du 21 juin 1791, la famille royale fut reconnue. Inquiet d’un retard dans le programme, l'infortuné louis XVI avait mis, à plusieurs reprises, la tête à la portière de la voiture. Le maître de poste Drouet le remarqua. Il avait vu le roi, l’année précédente à Paris, à la fête de la fédération. Frappé de la ressemblance du voyageur avec le souverain, il prit un assignat où l’effigie du monarque était très ressemblante et il compara les deux figures. La reine s'aperçut de son geste, elle s’inquiéta, mais avant que le maître de poste ait pu s’approcher de la portière, le postillon enleva les chevaux d’un large coup de fouet, la cabine démarra au grand trot. Quelques instants plus tard, Drouet, ayant réalisé l’importance de sa découverte, alertait les officiers municipaux de Ste Menehould. Grand émoi chez les habitants, tandis que le maître de poste s élançait à bride abattue, à la poursuite des fugitifs. Arrivé a Varennes avant eux, il les fit arrêter...

 

J’entraîne ma fille dans mon pèlerinage à travers la ville, endormie et déserte que j’ai connue si animée, il y a douze ans. A la fin de l’été 1916, Ste Menehould regorgeait de troupes, au repos ou en réserve. On y rencontrait même des russes. Après les rudes combats qu’il avait mené sur la somme, le VII° corps pouvait jouir ici d'une détente méritée. Notre division avait pris position à peu de distance, au nord de la ville, elle occupait les tranchées du bois de la Gruerie. Le lieutenant commandant la S.S. 44 fut donc autorisé à faire cantonner la section ici même. Les postes de secours, desservis par nos voitures, s’échelonnaient entre Vienne le Château et le Claon, en passant par la Harazée, le four de Paris, la Chalade.

 

Ce coin d'Argonne, vallée de la Biesme, couvert d’immenses et de magnifiques forêts, est un pays très pittoresque. Il a été, pendant des siècles, le centre d’activités de gentilshommes verriers célèbres. Lorsque nous occupions cette vallée, les bois étaient hachés par la mitraille et les villages de lamentables ruines. En Argonne, comme aux environs de Péronne, la pierre est rare, dans la campagne la plupart des maisons sont en pise ou torchis.

 

Les bombardements avaient soufflé les constructions comme des châteaux de cartes, souvent même par simple déflagration des obus. Partout se dressaient des carcasses de bâtiments, habitations étables ou granges, découpant dans le ciel leurs lugubres enchevêtrements de bois.

 

La vision d’une de ces ruines m’avait particulièrement frappé. Celle d’un petit château, en bordure de la route, au four de Paris. Un corps de logis carré, flanqué aux angles de petits pavillons aussi carrés. Seule restait l’ossature du manoir. Au milieu d’un cimetière de croix blanches, labouré par les obus, l’ancien jardin entourant la propriété. Comme fond de tableau, la pente sud ouest du bois de la gruerie, hérissée de troncs d’arbres déchiquetés à quelques mètres, au-dessus du sol.

 

Le poste de secours du four de Paris se trouvait dans des cagnas creusées dans le talus, de l’autre côté de la route. Les tranchées allemandes de la haute chevauchée, dominaient si bien certains endroits du chemin qu’il avait fallu, pour les dérober à la vue de l’ennemi les camoufler avec des branchages. J’avais pris plusieurs photographies de ce paysage de mort  (note de 1945)  - En contemplant il y a 29 ans, les ruines de ce château, je ne me doutais pas que sa propriétaire, la baronne de Charnace, née Bigault de Grandrupt, deviendrait un jour la grand-mère de ma fille, après son mariage avec le vicomte de Noue.

 

Quelques mois avant notre arrivée, ce secteur avait été le théâtre de combats acharnés. Ces cimetières sans nombre se succédaient le long de la vallée. Depuis que Pétain avait maté les troupes du Kronprinz à Verdun, les lignes, au nord de Ste Menehould, restaient généralement calmes. Durant le dernier trimestre de cette année 1916, la ville elle-même fut peu arrosée par les boches*. Je me souviens seulement de deux bombardements d’obus de gros calibre, le premier  au cours d'une revue passée à la caserne Valmy par le général Gouraud (11 novembre), le second, quelques jours plus tard, à l’heure du départ du train des permissionnaires. Il y eut peu de dégâts et peu de pertes.

 

Ce secteur paisible permettait aux troupes, cantonnées en ville et aux environs, de mener une vie insouciante et un peu désœuvrée. On les occupait par des manoeuvres, des revues, des remises de décorations. La S.S.44, ayant été citée pendant les combats devant Péronne, la croix de guerre lui fut remise, au milieu d’octobre, au cours d’une prise d’arme ou la reçurent aussi notre lieutenant, un maréchal des logis et deux conducteurs de la section .Les préoccupations de ces troupes au repos étaient toutes matérielles, se distraire et faire bombance. Admirablement ravitaillée, la ville regorgeait des mets les plus variés, de vins et d’alcools des meilleures marques. Indépendamment des produits du pays, les fameux pieds de porc, la charcuterie lorraine si parfumée, les poissons de toutes sortes, les commerçants vendaient volailles, gibiers, langoustes, foies gras, truffes, huîtres, fruits du midi et légumes en conserve qui permettaient de combiner des menus succulents. Ces repas compensaient le ravitaillement précaire des semaines passées dans les secteurs de combat

 

Notre lieutenant faisait popote avec son cadre, trois sous-officiers et deux brigadiers. Le moindre prétexte était une occasion de corser les menus  mais, à mon gré, les repas duraient trop longtemps et les propos échangés entre six convives, toujours les mêmes pendant des mois, manquaient de variétés, les nouvelles militaires faisaient surtout les frais de nos conversations. Il faut dire que, malgré les satisfactions matérielles que donnait ce séjour, notre moral, sensible comme un baromètre, variait d’un jour à l’autre, suivant les événements.

 

A la fin d’août, l’Italie avait déclaré la guerre à l'Allemagne. A la fin de septembre, français et anglais réalisaient une belle avance sur la Somme,  bonnes nouvelles. Mais en octobre, les roumains battaient en retraite, les sous-marins allemands recommençaient leurs torpillages. On craignait une nouvelle poussée boche* sur Verdun, nouvelles inquiétantes. En novembre, nos troupes reprenaient le fort de vaux et entraient à Monastir, on annonçait la mort de l’empereur d'Autriche, motif d'espérer une paix séparée avec ce pays, rayons de soleil. Hélas... à la fin du mois, les allemands prenaient Bucarest et les autrichiens Ploesi, tandis qu’Athènes nous tirait dans le dos. Il était question de mettre Joffre au rancart. A la chambre, les politiciens s’entre-déchiraient, tout le monde était au noir...

 

Profitant du vent de démoralisation de ses ennemis, l’Allemagne lançait aux quatre coins du monde une offensive de paix. Toute la presse commentait avec passion ces offres. Nos socialistes et les neutres poussaient la France et ses allies a écouter ces propositions. En même temps, la propagande ennemie faisait courir le bruit d’une invasion possible de notre pays par la Suisse. Une démarche auprès de l’Allemagne, faite par le président Wilson, un peu avant noël, acheva de jeter le désarroi dans les esprits....

 

La popote de la S.S.44, reflétait l’opinion divisée, on discutait âprement. A plusieurs reprises, je dus tenir tête aux sarcasmes, parce que j’essayais de démontrer l’hypocrisie allemande… Heureusement nos troupes réalisaient au nord de Verdun une forte avancée, en faisant près de 8.000 prisonniers et la nomination du général Lyautey, comme ministre de la guerre, permettait de ne pas désespérer.

 

Je souffrais, plus qu’un autre, des assauts donnés au moral des armées par une presse à la solde des parlementaires. Nos épreuves personnelles me rendaient plus cuisantes les préoccupations de tous. Les nouvelles de la famille et de mon foyer  reçues ces derniers mois, étaient douloureuses. A la fin d’août, une lettre d'officier allemand transmise par la Croix-Rouge, nous avait annoncé la mort de mon oncle Paul de Hennezel, décédé à Vorges à la fin de juillet. Maire de sa commune depuis quarante ans, il s’était éteint, épuisé par les épreuves et les soucis endurés pendant l’occupation. Ma tante restait seule là-bas, pour tenir tête à l’envahisseur. Ce décès affectait beaucoup mon père, réfugié à Paris et sa santé déclinait. En même temps nous apprenions le triste sort de nos propriétés, Bourguignon Pille servait de lazaret, Bruyères-Pille de caserne à une compagnie de pionniers, Charmoilles-Pille n’était plus qu’une ruine informe. Mes compagnons de la S.S.44 étaient généralement de pays éloignés des champs de bataille, ils ne pouvaient avoir la même mentalité que moi. Ils désiraient une fin rapide des hostilités, en songeant qu’au jour de la paix, ils n’auraient qu’à chausser leurs pantoufles.

 

Le premier, maréchal des logis jourrier, était négociant en volailles dans le Gers. Très débrouillard, il s’était glissé dans le service automobile  au début de la guerre malgré son âge, une dizaine d’années de moins que moi, et d’une constitution robuste. Intelligent, consciencieux, travailleur, il était plus calme et moins hâbleur que les méridionaux du sud-est, ses opinions étaient saines. C’est avec lui que je sympathisais le plus. Le deuxième, maréchal des logis guide, dans le civil courtier en grains de la région parisienne, avait la mentalité primaire de sa profession. Gros garçon réjoui, sa devise était « bien vivre » célibataire, personnel et susceptible, il raisonnait en habitué du café du commerce. Le troisième, brigadier d’atelier, contremaître à Paris dans une maison d’automobiles, avait la tournure d’esprit de son métier. Réfléchi, lent et un peu bougon, il ne s’intéressait guerre qu’à la mécanique et aux... apéritifs. Le quatrième, brigadier d’ordinaire, paysan corse, régulier et ponctuel comme un sergent de ville, était d’autant plus réservé qu’il n avait pas la moindre culture.

 

Enfin, notre lieutenant. Il était le fils d’un distillateur de Voiron, inventeur d’un alcool imitant la chartreuse. Il se nommait François Labbé, comme son père. Celui-ci avait donné son nom au produit de son invention. Tout ce qui se présente avec un patronage religieux inspirant confiance aux clients, cet homme avisé avait appelé son alcool « liqueur de l’abbé François ». L’étiquette de chaque bouteille portait sa griffe, on y lisait son nom, aéré par une apostrophe et suivi de son prénom, l’abbé François. Pour assurer la continuité des traditions commerciales fraternelles, notre lieutenant transformait en une imperceptible apostrophe de « l » de l’initiale du nom de famille, il signait aussi "l'abbé François". Grièvement blessé dans l’infanterie, pendant la bataille de la Marne  il avait à peu près perdu l’usage de la main droite, le lieutenant Labbé avait été versé dans le service automobile, malgré son âge, une trentaine d’années. De tous les autres, il était le seul à avoir fait des études secondaires. Intelligent et consciencieux, mais un peu enfant gâté, il affectait dans le service, une certaine brusquerie pour se donner de l’aplomb, lecteur assidu du « journal de Genève », à cause des communiqués allemands qu’il était interdit à la presse française de publier. Ses vues sur les événements et la politique étaient celles d’un français moyen de…Voiron.

 

Le lieutenant adorait les discussions paradoxales. Il cherchait à connaître ma façon de penser, pour avoir à m’exposer la sienne. Il m’emmenait volontiers dans ses tournées et me témoignait toujours une bienveillance, teintée même d’un soupçon de déférence, due sans doute à mon âge, ayant atteint la quarantaine, j'étais le plus âgé de la bande, peut être aussi parce qu’il me savait neveu de la châtelaine de Hautefort, imposante demeure féodale, située près de St Laurent du Pont, appartenant à ma tante de Jouffroy. Mes cinq camarades de popote étaient bons français. Les deux premiers, le lieutenant et le jourrier, avaient une certaine pratique religieuse, ils m’accompagnaient quelquefois le dimanche à la messe. Les trois autres, indifférents en religion, peut être même hostiles, ne le laissaient jamais paraître, union sacrée. A vrai dire  leurs opinions à tous les cinq étaient assez mal assises, il m’arrivait lorsqu’on m’y poussait et que ne perçait pas l’esprit de. . caste, celui-ci couvait toujours un peu à mon égard - de leur faire entendre raison. On est plus fort quand on sait regarder le présent et se pencher sur l’avenir, avec l’appui du passé.

 

Sont-ce ces conversations, animées mais courtoises  malgré le malaise que j’en ressentais, qui me donnèrent une sorte d’ascendant sur ces amis de rencontre… je l’ignore, toujours est-il que, pendant les deux derniers mois de séjour à Ste-Menehould, mes camarades me déclarèrent que je serais plus à ma place comme officier.

 

Depuis le début de la bataille de Verdun où les automobiles avaient joué un rôle si important, le G.R.G. avait commencé à réorganiser le S.A. sur des bases nouvelles. En même temps, était mise sur pied une artillerie d’assaut, à l’aide de tanks, arme nouvelle. Des cours d'élèves officiers avaient été créés dans chaque armée. Il était assez difficile d’y être admis et l’on demandait à ceux qui y entraient, un gros effort de travail.

 

Au début de novembre, j’eus la visite inopinée de mon ami des Robert. Automobiliste du 31eme CA. Son unité occupait un secteur voisin du notre. Il m’annonça qu’il allait probablement se décider à concourir pour être admis à une école d’élèves officiers. Il m’engageait à suivre son exemple. N’ayant fait aucun autre service que mes quinze mois d’infanterie au 15ème dans la Woivre et doutant de mes aptitudes à commander, j’hésitais à suivre ses conseils. Le lieutenant, partageait l’opinion de mes camarades. Il en parla au capitaine chef du S.A. du VII° corps. Tous deux me conseillèrent de tenter le concours de l'école d'E.O.R  de la IV° armée, organisée à Chaintrix près de Chalons. C’est ainsi que, quelques jours avant que la S.S.44 quitte Ste-Menehould, je demandai à participer aux examens de Chaintrix annoncés pour la mi-janvier.

 

Ces souvenirs de trois mois de vie, passés ici, se ravivent pendant que nous parcourons la ville. Voici, rue Camille Margaine, la maison où notre section avait installé son bureau dans une grande salle ancienne démeublées. Derrière un petit jardin à l’abandon baigné par l'Aisne, une grande remise servait de cantonnement aux hommes.

 

Voici, au pied de la butte du château, le modeste logement où était organisée notre popote, chez un ménage de pauvres réfugiés de Vienne la Ville. Tout près, une maison où j’avais fini par trouver une chambre, après avoir couché dans un grenier au bord de l’Aisne et chez une bonne femme de Chaude-Fontaine.

 

La rue Margaine contourne la butte du château, abrupte et pittoresque. Nous y grimpons. Je voudrais revoir l’église paroissiale où j’entendais volontiers la grand-messe, elle date des XIII° et XIV° siècles. Elle voisine avec des maisons d’aspect misérable, vestiges de l’ancienne ville. Un cimetière, non encore désaffecté, l’entoure et la prolonge au sud. Certains tombeaux, en forme de sarcophage, ont plus d’un siècle d’existence. Ils portent des noms connus de l’aristocratie vivant jadis à Ste-Menehould. Leurs épitaphes, parfaitement conservées, m’avaient intrigué. Ce pittoresque cimetière borde le coté ouest des remparts du château.

 

La pente surplombant la rue Margaine est trop raide pour être cultivée en jardins. C’est un fouillis d’arbres et d’arbustes qui donne un aspect sauvage à ce vieux quartier. Sa solitude me plaisait infiniment, j’en avais fait ma promenade favorite, heureux d'échapper quelques instants à la promiscuité d’une vie sans agrément et peu variée. Au moindre moment de liberté, je grimpais la pente broussailleuse de la butte. Sur cet observatoire, presque toujours désert, je pouvais fuir l’activité factice et déprimante de la ville grouillante de troupes, tous les bruits montaient dans le ciel, clair et pur, comme la fumée des cheminées de cette cite surpeuplée. Sous le soleil des premières journées d’un hiver qui s’annonçait sec et rude, il m’arrivait d’oublier les souffrances de cette guerre indéfinie et les angoisses d’un avenir qui serait bien différent de celui que ma jeunesse prévoyait.

 

Si nous sortions tous indemnes de la tourmente, il faudrait des années de labeur acharné pour relever nos foyers, pour effacer le long cauchemar durant lequel la famille vivait errante et dispersée. J’étais cependant, hanté par le désir de reconstituer les souvenirs pillés ou détruits, que l’on m avait appris à vénérer. Combien de temps serait nécessaire pour renouer le fil conducteur du passé et celui de l’avenir, pourrais-je jamais rattacher mes enfants aux maisons et au pays dont ils avaient été chassés, si jeunes, par l'envahisseur... aurais-je jamais le courage et les moyens d’affronter pareille oeuvre. .  Et, si je parvenais à cette reconstitution, la France sortirait-elle de l’épreuve assez régénérée et forte pour nous assurer un long avenir de paix…les conceptions politiques qui continuaient à embrumer les cerveaux de nos gouvernants n’étaient guerre encourageantes....

 

NOTE DE 1945

 

Ces sombres pronostics se sont réalisés avec une implacable acuité. en 1918, le jour de l’armistice, j’ai retrouvé nos quatre propriétés de famille, Charmoilles, Bruyères, Vorges et Bourguignon, dans le plus affreux état de dévastation. Tout le contenu de ces habitations avait été pillé ou détruit. A la fin d’août 1914, au moment de leur hâtif exode, ma femme et mes parents n’avaient presque rien pu emporter. Quant a moi, en fait de linge, de vêtements et d’effets personnels, je ne possédais plus que le contenu de ma cantine d'officier. Les ruines de Charmoilles et de Bruyères étaient telles qu il fallut renoncer à rebâtir ces demeures. Nous avons du vendre les décombres et le sol bouleversé. Les reconstitutions de Vorges et de Bourguignon ont demandé plus de sept ans, au prix d’efforts inimaginables (1919 – 1927) pendant ce rude labeur, le peuple allemand, prolifique et travaillant, qu’on avait humilié mais non réellement battu en 1918 se redressait avec une étonnante vigueur. Les français, au contraire, donnaient au monde, au double point de vue politique et social, de fâcheux exemples. Comme les autres latins, les français sont généreux, intelligents, prompts à comprendre, ils savent s’adapter aux événements. Mais, beaucoup sont ennemis de l’effort continu et volontiers frondeurs. Ils préfèrent improviser que prévoir chaque fois que notre peuple a été bien gouverné, le rayonnement de nos qualités s’est étendu sur tout le monde. Depuis qu’il cède au mirage démocratique le pays s’affaiblit, s’abaisse et souffre.

 

Vingt et un ans après la paix de 1919, la France a subi la plus humiliante défaite de son histoire et elle a enduré une autre occupation de six années. Nos foyers, reconstitués avec tant de peine ont été de nouveau pillés et saccagés, les français, civils et militaires d’abord, par les allemands ensuite.

Bourguignon relativement préservé jusqu en 1944, fut réquisitionné par l’ennemi, après le pilonnage de Laon par les forteresses volantes américaines. La propriété fut transformée en magasin d’approvisionnement et centre de ravitaillement par les allemands qui y restèrent six mois (février à août 1944).

 

Incapable de refouler elle-même l’envahisseur, la France dut, pour voir libérer son sol de l’occupation allemande, supporter les pires épreuves, matérielles et morales, et accepter la tutelle de nations intéressées à son affaiblissement.

 

A l’heure où ces lignes sont tracées (septembre 1945) Bourguignon et Vorges subissent depuis neuf mois  l’occupation américaine. Celle-ci parachève la dévastation et le pillage des mobiliers que les allemands eux-mêmes avaient respectés. Ces occupants « alliés » ont fait de nos habitations des lieux de débauche où vient se prostituer la jeunesse de la région....

 

Le plus cruel est de constater que nos compatriotes, en grande majorité, ont oublié la cause de leurs malheurs. Légers et crédules, ils sont revenus à leurs errements d’avant guerre et se tournent naïvement encore vers les hommes responsables de la défaite. Ceux-ci sont rentrés derrière les libérateurs étrangers. Ils jouent les patriotes. Pour se blanchir du désastre de 1940, ils cherchent à en rejeter la responsabilité sur les français clairvoyants. Ils ne songent qu’à les poursuivre de leur haine, en se glorifiant de le faire avec des procèdes judiciaires dignes de 1793.

 

Pour ne pas être à la merci du bolchevisme, notre pays est contraint de se mettre à la remorque d’une nation qui se qualifie elle-même de superpuissance, en même temps qu’elle détient, pour le moment, le plus effroyable moyen de destruction que l’humanité ait jamais connu 2*.

 

Nous descendons la pente nord de la butte du château. Je tiens à revoir au bord de l’Aisne, l’esplanade plantée d’arbres où cantonnaient nos voitures, l’église St Charles qui dresse sa haute nef au -dessus des toits plats du quartier nord de la ville. Elle est de construction récente, certaines parties même restent inachevées. La proximité de la rue Margaine me permettait d'aller souvent dans la semaine, y entendre une messe matinale. Plus d’une fois je m’en souviens je me trouvais à la table de communion, voisin du général de Bazelaire, commandant de notre corps d’armée.

 

Au bout de la rue Chanzy s’élève, au milieu d’une vaste place, le majestueux hôtel de ville, corps de logis, flanqué de deux ailes en retour. La construction en briques et pierres, les hautes fenêtres à petits carreaux, sa toiture à la mansarde, indiquent son age, le début du XVIII° siècle. Ce beau monument a vu passer les berlines de Louis XVI s’engageant au grand trot sur la route de Clermont après l’émotion causée aux voyageurs par les  égards inquisiteurs de Drouet.

 

Remontés en voiture, nous continuons à suivre le parcours des fugitifs royaux.

 

Arrêt au tournant de la cote de Biesme et déjeuner en bordure de la forêt.  Le coup d’oeil est splendide, à perte de vue un merveilleux spectacle, le moutonnement empourpré de l’immense forêt d’Argonne. Quel royaume elle devait être pour les gentilshommes verriers, enracinés dans ce pays depuis un temps immémorial. Leurs noms se pressent dans ma mémoire, Bigault, du Houx, Dordolot, Cacqueray, Condé, Brossard, Bonnet, Juilliot, Goucauld, Bongars, des Androuins, des Guyots etc... La plupart de ces familles figurent dans le célèbre manuscrit de Didier Richier, relatant sa  recherche de la noblesse du clermontois, en 1582.

Leur centre d’activité était les Islettes, bourg à cheval sur la Biesme, dans le fond de la vallée, entre deux défilés. De tout temps on y a fabriqué des faïences à fleurs dont le décor naïf est charmant. En 1919, j’ai pu en acquérir d’anciennes dans une vente à Sedan.

 

NOTES DE PPDH

 

*1 - Boches ? Autrement dit = les allemands.

 

*2 - Voila enfin un sentiment que je partage complètement : j'ajouterais simplement que c'est précisément ce qui a permis à cette superpuissance (pour ne pas être à la merci du bolchevisme) de devenir aujourd'hui, par sa volonté on ne peut plus claire de domination du monde en parfait accord avec les multinationales,  le plus grand état totalitaire que l'humanité ait jamais connu !

 

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