19 - DEUXIEME VISITE A HENNEZEL   (3ème visite...)

 

 

SOMMAIRE

Sur la route « L’étang de la Blamonne » - Le hameau de la Houdrie – L’étang de la Flechière - Hennezel, origine, prononciation et orthographe du nom et de ceux de Thietry, de Thysac et de Biseval, d’après Mr Bruneau, savant philologue - fondation de la paroisse en 1763 par M.M.  d’Hennezel de Bazailles, de Bigot de la Pille et de Finance - Don du roi Stanislas - Les chapelles seigneuriales - Epitaphe de Mme d’Hennezel de Thietry, née Finance en 1770 - La place de la mairie et le monument aux morts.

 Après la gare de Darnay, je reconnais la belle et large route qui traverse la foret en ligne droite, presque jusqu’à Hennezel. Ma carte indique, sur le parcours des noms de lieux qui me sont familiers. Je les ai lus maintes fois en compulsant les archives.

Tout d’abord à un kilomètre cinq cents de la gare, sur la droite de la route l’étang de la Blamonne, jadis de Bolmont, crée par Christophe I de Hennezel, Sgr de Belrupt (11 novembre 1539). Sous la forme de Bomont ou de Beaumont, cet étang donna son nom à deux branches de la famille. Quelques centaines de mètres plus loin et du même coté on aperçoit les toits de la Houdrie, hameau bâti à proximité de l’ancienne verrerie de la Houldrychapelle, érigée au XVI°siècle, sous le nom de la Busenne.

Son fondateur était Nicolas de Hennezel, auteur des branches de Champigny et de Bazoilles. Je me promets de venir, une autre fois sur place, voir ce qui peut subsister de cette verrerie (8 /9 /1555). L’année précédente, le même gentilhomme avait obtenu de Nicolas de Lorraine, l’autorisation de créer « au lieu dit la Flaschière, proche Hennezel », un étang pour abreuver les bestiaux des villages voisins (2 avril 1554). La carte montre son emplacement, sous le nom de la Flechière. Il est situé presque à l'orée de la forêt, à gauche de la route, avant d'arriver en vue d'Hennezel. J’ai si souvent rencontré le nom de cet étang, que je voudrais le connaître. Descendu d’auto, je m’avance à travers bois, où donc est la nappe d’eau indiquée sur la carte... elle a été asséchée depuis longtemps, un fourré recouvre son emplacement que j'ai peine à imaginer.

Quelques tours de roues et nous apparaît une clairière, parsemée de terres cultivées, de prairies, de jardins, d’arbres fruitiers. Au milieu, un clocher se dresse, dominant quelques maisons trapues. C’est l'église et le village d’Hennezel que l’on voit à travers les arbres. Le panorama me tente et j’en prends une photographie, en mettant au premier plan du cliché, deux petits garçons endiman­chés revenant sans doute des vêpres.

HENNEZEL

A l’entrée ou village, ma fille est amusée en lisant notre nom sur la plaque de fonte, scellée au coin ou pignon de la première maison.

Que de fois, en pension surtout, la jeunesse est taquine et malveillante,  ne lui a-t-on pas dit que Hennezel n’était pas un nom français. Elle répondait, « mais il y a en Lorraine, un village de ce nom du coté de Vittel. Il a au moins six cents ans d’existence ». Les gens restaient sceptiques et voila que ce mot apparaît, sous la forme concrète d’un clocher, entouré de maisons étincelantes de soleil, au centre d’un paisible paysage.... 

Certainement, ce nom, d’une orthographe si spéciale, peut paraître étrange à qui l’entend ou le dit pour la première fois. Cependant son orthographe actuelle, celle qui se détache sur cette plaque bleue, est bien la plus ancienne. On la rencontre dans la fameuse chartre de 1448. « La vieille verrière de Jehan Hennezel » est au nombre des quatre de la forêt de Darney, dont les détenteurs font confirmer leurs privilèges et leurs droits séculaires. En ce temps là, cette verrière était ruinée et abandonnée depuis longtemps, et ses propriétaires projetaient de la remettre en oeuvre.

Ce qui justifie l’origine étrangère du mot, c’est qu'il ne se prononçait pas autrefois comme aujourd'hui. D’ailleurs la manière de l’orthographier a varié, suivant l’accent des pays où le nom était prononcé et écrit. En lorraine méridionale, notamment à proximité de la Franche-comté, on ne prononçait pas le "l" final, on disait « Henneze » pour Hennezel, « Viomenil » pour Viomenil, le Hatre pour le Hastrel. La dernière syllabe de notre nom « zel » se trouvait donc souvent orthographiée « ze » ou « zay » et « zet », quelquefois même, remplacé par un ou deux « s », Hennese, Hennessey. Cela est si vrai, qu’on lit sur les cartes anciennes de la Vôge, - Polascu, Ortelius, Visscher, Samson d'Abbeville, Jaillot - l'orthographe Hennesey ou Hennessey.

Lorsqu’un Hennezel se trouvait dans un autre pays que la Vôge et qu'il recourait à l’office d’un notaire, celui-ci orthographiait le nom de son nouveau client, d’après sa prononciation. "Comment vous appelez vous" disait l'homme de loi, au gentilhomme qu’il voyait pour la première fois  « un tel de Henneze » répondait le requerrant en aspirant l’ "h" initiale et en prononçant la première syllabe « an ».

Le tabellion laissait alors courir sa plume, au gré de la fantaisie que lui suggérait cette prononciation.

On trouve dans un même acte, des variantes nombreuses, de Hanneze, de Hannezay ou Dhannezay et même d’Annezay, Dannezay et Dennezay. Le cas est typique en Nivernais et en Comté, dans la première moitié du XVII° siecle. Cependant, au bas de la minute du notaire, l’intéressé signait, presque invariablement en respectant l’orthographe, de Hennezel.

Mais quelle est la raison de l’ « h » aspiré, initiale du nom qui a légitimé, dans toutes les branches, jusqu au XVIII° siècle, l’orthographe de la particule « de ». Pour l'expliquer, il faut savoir l’origine du nom. Au moment où nous entrons dans le village, je me souviens de ce que m’écrivait à ce sujet M. Charles Bruneau, l’érudit professeur de philologie de Nancy. Non seulement ce savant homme a bien voulu m’expliquer l’origine du nom de Hennezel, mais aussi celles des noms de Thysac, Thietry et Bisval, tous quatre portés par des familles venues des frontières de Bohême ou de Bavière, s’implanter dans le pays de Vosges, au milieu du XIV° siècle.

Hennezel, Thysac et Thietry, m’a écrit M. Bruneau, sont des noms d'origine germanique. Hennezel était un Hansel, diminutif de Jean, Petit-Jean. Thysac, orthographie jadis Tysoir, Tissot, Tixot, Tisal, et représentant une même prononciation. Tissot, était vraisemblablement un petit Mathias. De même qu’en Lorraine, Nicolas a donné « ni » colas, colin, etc.  Mathias a donné des « ma » thies, plus  un suffixe quelconque. La forme Thysac doit être postérieure.

Thietry, que l’on trouve souvent orthographié, jusqu' au XVII° siècle, Thietrich, est une forme mi-germanique, mi-française. La forme germanique serait, Diderich, la forme française, Thierry, d’où aussi Théodorich.

Enfin Bisval, orthographié dans la charte de 1448, Bisovale et Bisevalle est le plus énigmatique de ces noms. Il se pourrait qu’il ne vînt pas  comme les trois autres d’un prénom mais d’un nom de lieu. Le premier élément "Biss" est bien connu, on le retrouve dans "Besange", en allemand "Biss-ingen". Le deuxième élément pourrait être Wald forêt. Notons qu’il a été donné quelquefois d’une manière amusante, Brisevoire. Il est plaisant d’appeler un verrier, brise - verre, voire étant la forme régulière de verre en vieux français.

M. Bruneau terminait ainsi sa consultation :

"En ce qui concerne l’origine des noms de famille, il n’existe malheureusement aucune certitude possible. Jusqu’au début du XI° siècle, on ne rencontre pas de nom patronymique qui se transmette. Les enfants portaient des noms différents de leur père, souvent des prénoms  qui se compliquèrent plus tard de surnoms".

En Lorraine et en alsace, du XII° au XVI° siècle environ, la plus grande fantaisie régnait, pour ce que nous appelons aujourd'hui les noms de famille. Ils variaient, ainsi que leur orthographe, suivant les personnes et suivant les époques de la vie. Cependant, pour les verriers, les noms de famille ont été fixés d’assez bonne heure. Il y avait la, non seulement une habitude noble, mais aussi une nécessité professionnelle. Le nom garantissait la valeur du produit. D’ailleurs  en ce qui concerne les noms cités dans la charte de 1448, j’ai l’impression qu’il s’agit de familles constituées, possédant vraiment un nom patronymique auquel elles tenaient. Cela fait supposer que ces familles étaient établies dans le pays, depuis plusieurs générations et qu’elles y jouaient des lors, un rôle important.

Au moment même où M. Bruneau me donnait ces explications, un ami me proposait une autre signification du nom de Hennezel ou Hansel. Ne viendrait-il pas m écrivait-il, de même que le mot "Hanse" qui veut dire association commerciale entre un certain nombre de villes d'Europe au moyen age, du mot allemand, Hansa, qui veut dire compagnie ? Il est curieux de rappeler que les verriers, associés entre eux, se disaient "comparsonniers". Quoi qu'il en soit, j’ai retenu plus particulièrement les indications de M. Bruneau : Hennezel venu de Hansel, petit jean , tout d’abord à cause de la notoriété du savant professeur lorrain, ensuite parce que le prénom de Jehan est celui des premiers Hennezel connus. J’y ai ajouté les observations suivantes sur l’orthographe de la particule.

Au milieu du siècle de Louis XV, les prononciations de noms se sont modernisées, allégées. La particule s'est élidée, on a écrit d’Hennezel pour de Hennezel, comme en Normandie on a écrit d'Harcourt pour de Harcourt, d'Houdetot pour de Houdetot, et en Picardie, d'Hédouville pour de Hedouvi1le, d'Hangest pour de Hangest.

A la veille de la révolution, toutes les branches de notre famille restées en lorraine, écrivaient le nom avec une apostrophe. Au contraire, la particule non élidée s’est maintenue, jusqu'a notre époque, dans les branches qui ont quitté leur province d’origine, depuis plusieurs siècles. Les d'Ormoy, enracinés en Hainaut sous louis XIV, continuèrent à orthographier leur nom dans sa forme la plus ancienne, sauf la génération qui vécut de 1750 a 1789. Les d'Essert, fixés au pays de Vaud, ont écrit invariablement jusqu’à nos jours, de Hennezel.

Cette méditation sur l’origine de notre nom n’est pas indifférente au moment ou nous pénétrons dans la commune qui le porte. Ses habitants ne s’en doutent probablement pas.

Si comme je le souhaite, je parviens à entrer en rapport avec un érudit local, il sera certainement intéressé par ces explications.

Mais cette seconde visite à Hennezel sera rapide. Pour explorer le village à loisir et de façon profitable, il faudrait y être guidé par quelque habitant obligeant et compétent. Depuis le décès de l’abbé Gérard et de M. Paul Rodier, je ne connais plus personne ici.

Nous arrêtons la voiture sur la place de la mairie. Je voudrais revoir l'église dont l’abbé Gérard m’avait fait les honneurs en 1901. Comment en la visitant, n’avoir pas une pensée pour tous les morts qui ont porté le nom de Hennezel, depuis six cents ans...

Elle est bien banale cette humble église. C’est qu’elle n’a guère plus d’un siècle et demi d’existence. Elle fut construite en 1764, après l’érection d’Hennezel en paroisse. Jusqu’à cette époque, ce village et les hameaux environnants dépendaient des cures d’Attigny et de Belrupt. Mais l’éloignement de certains d’entre eux amenait toutes sortes de difficultés. Pour les baptêmes par exemple, nos pères, très religieux, désiraient que les nouveaux nés devinssent enfants de dieu, aussitôt après leur entrée en ce monde. Les enfants étaient présentés à l église le jour même de leur naissance. C était pour l’aller et le retour des trajets de dix à douze kilomètres que beaucoup de nouveaux nés supportaient difficilement.

Les enterrements, surtout dans la mauvaise saison, étaient aussi pénibles. Les registres paroissiaux d’Attigny, m’a-t-on dit, mentionnent le cas d’un habitant d’Hennezel, décédé au moment d’une crue de la Saône. En arrivant à Attigny, impossible de franchir la rivière, le pont avait été emporté. Le courant était si fort qu’après plusieurs tentatives de passage, il fallut renoncer à traverser la rivière. Le corps du défunt dut être ramené à la maison mortuaire. Le lendemain, nouvelle tentative d’enterrement, nouvel échec. Les eaux de la Saône ne semblaient pas vouloir se retirer. En désespoir de cause, la famille du défunt décida de se rendre à l'église de Belrupt où l’inhumation put se faire, le troisième jour de cette promenade macabre.

D’autre part, jusqu'au milieu du XVIII°siècle, la population d’Hennezel et des hameaux voisins ne cessait d’augmenter. Les gentilshommes verriers demandèrent au duc de Lorraine et au chapitre de Darney, l’autorisation de construire  deux églises pour desservir l’agglomération des « granges et verreries » autour d’Hennezel. Reconnaissant le bien fondé de cette requête, le roi de Pologne autorisa la création de deux paroisses nouvelles et il permit la construction de L’église avec presbytère et maison d’école à Hennezel et à Claudon (15-11-1763).

La paroisse d’Hennezel groupa alors une quinzaine de hameaux et elle fut rattachée au diocèse de Besançon. Ses habitants étant, pour la plupart très pauvres, ne pouvaient édifier l'église entièrement à leurs frais. Le roi Stanislas leur accorda une généreuse subvention pour les aider. En reconnaissance, la nouvelle paroisse fut placée sous le vocable de saint Stanislas, évêque de Cracovie, martyrisé au XI° siècle, qui était le patron du roi de pologne.

En outre, cinq gentilshommes, chefs de famille habitant la nouvelle paroisse d’Hennezel, MM. d’Hennezel de Thietry, Sgr de Bazailles, de Bigot de la Pille et trois messieurs de Finance décidèrent de faire don des terrains nécessaires à la réalisation du projet.

Un jour de printemps de 1764, ils se réunirent sous la présidence de M. de Bresson, lieutenant général du bailliage, assisté de l’official de Darney et du vicaire, futur curé de la paroisse, pour choisir l’emplacement de l’église et de ses dépendances. D’un commun accord, il fut convenu qu’elle serait construite sur un terrain appartenant à un des MM. de Finance et qu’elle serait entourée d’un cimetière, que la cure serait bâtie derrière, dans un jardin généreusement offert par M. de la Frizon et ses soeurs. Enfin, que l école s élèverait en avant de l’église et un peu plus haut, sur un terrain dépendant de la verrerie (1er avril 1764).

La nouvelle église était modeste et son clocher en bois, sa construction fut menée rapidement. Au début de l’année suivante, elle put être livrée au culte. Le premier mariage qu’on y célébra, fut celui d’une demoiselle de Bazailles, fille du Sgr d’Hennezel de Thietry avec un Massey de la grande Catherine (15 janvier 1765).

A l'automne, le lieutenant général de Darney, assisté du curé et des habitants d’Hennezel, s’assemblèrent de nouveau, pour réglementer les places des bancs. Il fut convenu que les deux chapelles latérales seraient réservées à MM. les gentilshommes et à leurs familles, comme places de « distinction » conformément à l’ordonnance de l’intendant de la province. Pour accéder dans l’église, ceux-ci devaient utiliser les portes de leurs chapelles (29 septembre 1765).

Des l’année suivante et jusqu’ à la révolution, les membres de ces familles nobles furent inhumés dans ces chapelles.

 

Entré dans l’église, je cherche en vain à retrouver, dans le transept  nord, la pierre de fondation située devant l’autel de cette chapelle et que l’abbé Gérard m’avait montrée en 1901. Elle portait, je crois, les noms de deux Hennezel et de plusieurs Finance. Depuis cette visite, l intérieur du monument a subi certaines modifications.

La sacristie primitive, située derrière le maître-autel a été transférée dans une chapelle latérale, l’autre chapelle est devenue salle de catéchisme, les planchers ont été refaits, les dallages réparés.

Nous découvrons, dans la chapelle sud, un fragment de pierre tombale  l’épitaphe est en grande partie effacée, je note ce qui reste lisible.

 

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----------e. de ----­

-------et -----------­

-------------Nicolas

-----------dhennezel

--------------Thietry

-------------Décédé

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Il s'agit vraisemblablement de la sépulture de la femme d’un des fondateurs de l’église, Marie-Françoise de Finance, épouse de Nicolas François I de Hennezel de Thietry, écuyer, Sgr de Bazailles. Elle mourut à Thietry, à l'âge de cinquante huit ans, après avoir eu dix enfants. L’acte de sépulture indique qu’elle fut inhumée dans cette chapelle (13 décembre 1770). Son mari décéda dix ans plus tard, mais son corps fut enterré dans le cimetière (29 avril 1780).

Rien d’autre ne retient notre attention au cours de cette visite. A l'extérieur aucune trace de l’ancien cimetière devenu insuffisant pour la population qui habitait Hennezel sous le second empire. Il fut désaffecté en 1866. Son emplacement au sud de l’église est devenu, la place communale.

Au milieu de la place et a gauche de l’entrée de l'école, se dresse aujourd'hui une stèle, décorée d’une palme et d’une croix de guerre en bronze, c’est le monument aux morts de la guerre de 1914 - 1918.

La grille qui l’entoure a été pavoisée de drapeaux, hier 14 juillet, de nombreuses couronnes jonchent le sol. Presque en face, un café. J’y achète quelques cartes postales. Elles sont aussi gauchement prises que possible. L’éditeur est un libraire de Darney. Peu de vosgiens ont vraiment le sens artistique....

Avant de sortir du village, voici, à gauche de la route vers Gruey, le presbytère où, il y a vingt sept ans, j ai été l'hôte de l’abbé Gérard  puis, à peu de distance, le chemin conduisant au hameau du Tourchon et à l’ancienne verrerie de Clairefontaine. C’est par là que j'étais revenu de la Pille en 1901.

La route nationale traverse de nouveau la forêt. Au sortir de ses ombrages, sur la lisière est, je reconnais à gauche, le chemin du Grandmont et de Viomenil. A droite, on aperçoit les toits du hameau du Hatrey, appelé autrefois « la verrière du Hastrel », que je compte bien visiter quelque jour.

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