40 - Visite de la verrerie de la Rochère

 

 La Rochère - 8 juillet 1929  -    La Rochère aujourd'hui

 

SOMMAIRE

 

Situation de la verrerie - Visite de l’usine avec M. Boileau- Les verriers  au travail - Leur habileté - L’art de verrerie en Lorraine au XVI°siècle - Vers 1500, un Thysac apprend en Italie l’art vénitien - Caractère des verreries lorraines - Gravures anciennes - Verres de couleur, réputation des Hennezel - Charles de la Cisté, seigneur de Bois-Gizet et les vitraux de la cathédrale d’Auch (1642) - Le verrier moderne, simple unité d’usine - Spécimens des fabrications de la Rochère à l’exposition de 1925, services de tables et grés artistiques de la famille Boileau - Boules de verre multicolore et usages anciens - La vieille verrerie batie par les du Houx (1863), fronton aux armes du Houx et Grivel. Le passé de la Rochère depuis le directoire - La société Ernest de Massey et compagnie en 1834 – L’association du Houx et Baud (1830-1850),  après leur mort, Mm. Balhoudey et Fouillot rachètent l’affaire - Pour les concurrencer, Mme du Houx, née Grivel, construit une autre usine (1863). Elle se ruine et part en Amérique avec ses enfants. Leurs successeurs donnent un grand essor à l’industrie. L’alliance Mercier Finance maintient des descendants des gentilshommes à la Rochère (1887)- Note de 1945, en février, un ouragan anéantit la halle de la verrerie de 1863.

 

M. Amédée Boileau était capitaine d’artillerie, détaché à la manufacture d’armes de St Etienne, lorsqu’il est devenu industriel après son mariage en 1876 avec sa fille aînée de Mme Mercier, née Fouillot, héritière des verreries de la Rochère. Mme Mercier nous fait visiter l’usine.

 

Celle-ci est située à la lisière nord-est du village. L’entrée principale est à l’angle du chemin conduisant à la fontaine St Vaubert. Elle ouvre sur une cour encombrée par un immense tas de bois en vrac, légers rondins taillés dans la forêt, le combustible employé ici depuis des siècles, pour le chauffage des fours.

 

- « Non, plus maintenant, nous explique notre guide, jusqu’en 1905, l’usine marchait uniquement au bois. La Rochère fut la dernière verrerie de France où l’on fondait le verre dans les fours a bois, identiques aux fours primitifs qui contenaient les creusets. Depuis vingt cinq ans, l’usine utilise des fours semi-gazogènes boétius qui produisent eux-mêmes leur gaz par chauffage à la houille ».

 

- « Mais alors, à quoi sert ce tas de bois impressionnant... il est étalé pour permettre sans doute un meilleur séchage »

- « Ce bois est spécialement destiné au chauffage des arches fixes pour la cuisson des tuiles de verre et au chauffage des arches roulantes, pour le recuit des verres déjà façonnés. Vous savez que le recuit d’une pièce est la dernière opération. Les arches sont chauffées à cinq cents degrés environ, cette température est voisine de celle où le verre se ramollit ».

 

Derrière cet amas de bois se dressent au fond de la cour, les bâtiments de la verrerie, deux hautes cheminées les dominent, le plus éloigné est la halle proprement dite, vaste rectangle aux murs relativement peu élevés, recouverte d’une toiture très haute. Deux petits pavillons carrés, d'aspect assez ancien, flanquent la façade ouest du bâtiment. L’un contient au rez-de-chaussée la maréchalerie de l’usine et, à l étage le bureau du chef de fabrication, l’autre abrite en bas la menuiserie et, au-dessus l’atelier de moulerie.

 

La halle où nous entrons comporte plusieurs fours. Le plus important occupe le centre de cette halle. Tout autour évoluent des verriers de tous les âges, canilleurs, souffleurs, étendeurs, maniant avec une incroyable dextérité la matière en fusion, au sortir des creusets. Chaque équipe a son travail bien défini, son outillage particulier réduit à quelques ustensiles de fer fort simples, quelques moules, de rustiques tables ou bancs de bois. Ouvriers et matériel semblent entremêlés. Il n’en est rien, les équipes travaillent sans confusion, sans gêner leurs voisines. Chacun accomplit son oeuvre sans gestes inutiles, ni précipitation, dans une atmosphère brûlante que rendent supportables d’incessants courants d’air. A la Rochère, le travail se fait encore à la main avec les procèdes séculaires qu’employaient nos pères. Nous sommes loin de l’usine de Noll, visitée l’an dernier, en compagnie de Dorlodot.

Le maître verrier est créateur, avec son seul souffle, ses doigts, la sûreté de son regard, un sens parfait des dimensions, il fait un petit objet léger, translucide, sonore, lumineux qui s’irisera aux rayons du soleil, reflétant l’or ou la pourpre des vins. Dans la fournaise ardente et « cueillie », c’est le terme technique, une petite masse de verre rougeoyant, goutte de feu suspendue au bout d’une tige de fer creuse. Le verrier lui insuffle la vie, il lui imprime une série de mouvements presque imperceptibles, la tourne, la retourne, la lève ou l’abaisse, la fait osciller... bientôt, on voit éclore l’embryon d’une chose informe. Ce corps s’enfle ou s’amenuise, se creuse, s’effile ou s’étire, ses lignes et ses proportions se précisent. Alors l’homme parfait la forme de l’objet par d’habiles contacts donnés avec une pince de fer, aux endroits précis qu’il désire. Au fur et a mesure que le verre se refroidit et perd sa couleur de feu, il prend la transparence de l’eau.

 

On comprend que, dans les siècles passés, l’art du verrier ait paru tenir du prodige. Volcyr de Serouville, secrétaire du duc de Lorraine au XVI° siècle décrivant l’art de verrerie alors à son apogée, ne pouvait retenir son admiration. Ses phrases, concernant la fabrication des glaces et des miroirs, me reviennent à la mémoire. Dans une langue imagée et savoureuse, il dit ...  "et se forgent les voirres, en la fournaise ardente, par une merveilleuse artifice avec ung fer attaché au bout d’un baston percé, par le moyen duquel le maistre ouvrier tire la masse embrasée à force de souffler et roubler sur une planche, il vient à l’arrondir et enfler, tant et si longuement qu’elle a prins la grosseur de mi­rouers, grande moyenne et petite, comme bons semble au dit maistre. Puis après; il applique le plomb par grant subtilité, pour donner le lustre et réverbération des choses" (1530).

 

Au même siècle, Thierry Alix, président de la chambre des comptes de Nancy, décrivant au duc Charles III les richesses de son duché, vantait « les grandes tables de verre de toutes couleurs qui se font en haultes forests de Voge, et dont une bonne partie de l’Europe est servie par le transport continuel qui s’en fait en pays d’Angleterre, puis aux autres régions plus éloignées ». Il parle aussi du « nombre infini de petits et menus verres, des grands miroirs et bassins et de toutes aultres façons qui ne se font ailleurs en tout l univers « 1594 ».

 

Cent ans plus tôt, un Thysac, François, né à Hennezel, s’était expatrié en Italie, pour apprendre des vénitiens, l’art de faire un merveilleux cristal. En échange, il avait enseigné aux gentilshommes verriers italiens les procédés de fabrication des glaces et des miroirs « à la façon de lorraine » dont nos pères détenaient le secret. De retour au pays natal, Thysac demanda et obtint du duc René, l’autorisation de créer une verrière nouvelle, près de celle où il avait vu le jour. Il choisit « dessoules la haulte Frison, sur le rup des voyes ung lieu propice où il pourrait, disait-il, besogner au dit art, pour le plus grand profit de son altesse » (18 octobre 1515)

 

Le spectacle de ces hommes au teint have, aux joues plissées de rides, aux veux brillants et profonds, évoluant légèrement vêtus et, la plupart nu-tête, à travers ces masses rougeoyantes suspendues au bout de leur canne - la fameuse canne du verrier – qu’ils manient avec art, ce spectacle est étrange et impressionnant. Il faut une vraie vocation pour apprendre ce métier, pour l’exercer habilement, pour l’aimer ...

 

- « la plupart de nos ouvriers, nous dit M. Boileau, sont verriers de père en fils, depuis des générations. Ils ont toujours conscience d’appartenir à une corporation qui jouissait jadis de privilèges spéciaux. Les vieux surtout conservent une indépendance de caractère très particulière, n’est pas verrier qui veut ».

 

L’an dernier à Nancy, M. Daum *, le maître verrier d’art connu, rencontré au cours d’une séance de l’académie Stanislas, me faisait une réflexion analogue et il ajoutait « cette main d’oeuvre, cette habileté professionnelle ne se trouvent plus guère qu’en lorraine, pays où les gens sont tenaces, fiers, fidèles à leurs traditions locales. Ils ont l’amour de leur métier et celui de leur sol, le plus grand nombre de nos ouvriers chérissent cette terre lorraine, pourtant peu généreuse, ils en acquièrent des parcelles qu’ils cultivent de ces mêmes mains qui ouvrent habilement le verre fragile ».

 

 * Voir le site de Patrick-Charles Renaud

 

Le travail manuel de la halle et des champs n’entrave pas la pensée de ces hommes, ils sont réfléchis, aiment lire, étudier, leurs réflexions sont presque toujours pleines de bon sens, souvent émouvantes, marquées d’un esprit observateur et indépendant.

 

La vue de ces équipes en plein travail, me rappelle les images naïves que donnent les ouvrages anciens sur l’art de la verrerie, depuis les bois gravés du XVI° siècle, reproduits dans le livre de Georgeres Agricola "de Re Metallica" imprimé à Bale en 1561, images représentant l’intérieur d’une halle de la « petite verrerie » en activité où tous les détails sont présentés avec un réalisme saisissant, jusqu’aux multiples planches des ouvrages du  VIII° siècle, notamment celles de la grande encyclopédie où des gentilshommes en culotte courte, souliers à boucles, tricornes brodés, accomplissent les gestes de leur art avec des allures de marquis esquissant un menuet ou un pas de gavotte... ceux qui cueillent la matière en fusion ont endossé, par dessus leurs culottes, une simple chemise qui flotte à hauteur de leurs genoux, tandis qu’est adaptée sur leur front une sorte de visière, large et rigide pour préserver leurs yeux de l’ardente chaleur que dégagent les ouvreaux.

 

Ici, les visages sont à découvert, les tenues d’ouvriers moins spéciales. Pourquoi a t-on trouvé le moyen de tempérer la chaleur qu’exhale le four, de la rendre moins brûlante ...

 

En ce qui concerne le verre de couleur, nos pères possédaient d’antiques secrets d’alchimie, des tours de main inconnus aujourd'hui, soit pour imiter toutes sortes de pierres précieuses, soit pour donner aux vitraux ces bleus, ces rouges ces verts, ces pourpres d’une intensité incomparable, qu’illuminent l’ambiance mystique des cathédrales. Les verriers du moyen age détenaient d’étonnants procédés de mélanges de cuisson, de recuisson, qui ont été perdus, aucun vitrail moderne n’offre une telle richesse, une telle chaleur ...

 

Au milieu du XVII° siècle encore, les verres de couleur, fabriqués par les Hennezel étaient réputés, chapitres, monastères et châteaux, souvent de provinces fort éloignées, recouraient à eux et leur commandaient des verres de couleur pour leurs vitraux.

 

En 1643, les chanoines où chapitre d’Auch, faisant réparer les vitraux de leur cathédrale, ne parvenaient pas à se procurer de beaux verres de couleur. Le restaurateur avait écrit « en plusieurs villes de France, sans pouvoir en trouver ». Il apprit un jour qu’en nivernais à la verrerie de Bois-Gizet, un gentilhomme lorrain, né Charles de Hennezel, fabriquait de très beaux verres, il s’était adressé à lui, il craignait de ne pas recevoir de réponse, le réparateur des vitraux d’Auch disait aux chanoines « s’il vous plaisait d’écrire à ce gentilhomme comme vous avez des amis et crédits partout, vous ferez plus avec parolle que moi avec argent ».

 

Ce Charles de Hennezel, seigneur de la Cisté, était petit-fils d’un sire, Gérard de Hennezel de la Rochère. Son père s’était réfugié en Nivernais au début de la guerre de trente ans. Sa femme devenue veuve vint finir ses jours à la Rochère, avec son fils qui y ralluma des fours, ils habitaient la Main-Forte à Tourelle des Grandmont. Ses petites filles épousèrent l’une un Raguilly, l’autre un Massey de Selles qui travaillèrent ici. Ce sont les ombres de ces gentilshommes et de leurs proches qui hantent mon esprit, tandis que je vois flamber aujourd’hui ces fours séculaires.

 

Au moyen âge, l’art de verrerie était naïf et émouvant, la main de l’homme, avec les pénibles et habiles tâtonnements  y paraissait plus sensible encore. De nos jours, les verreries comme celle de la Rochère, où l’on emploie encore des tours de main anciens sont de plus en plus rares. Peu de chose cependant, dans le travail des verriers de notre époque rappelle les travaux d’art, exécutés par les anciens verriers.

 

Jadis, la personnalité du verrier, son habileté, les égards dont on l’entourait, faisaient de lui un artiste. Il savait dominer son travail, l’exalter, l’ennoblir. De nos jours, l’ouvrier verrier est, au contraire, dominé par un travail excédant. Au fur et à mesure que l’industrie s’est développée, la situation morale et matérielle des travailleurs du verre a disparu. Des machines formidables et compliquées, comme celles que nous avons vues à Noll, avec leurs rouages, leurs bielles, leurs bras automatiques, « cueillent » le verre, le soufflent, le moulent, l’étirent en nappes immenses. Alors la personnalité du travailleur s’efface complètement, le progrès a fait du verrier une simple unité d’usine ...

 

M  Boileau nous fait suivre, à travers la verrerie, les diverses phases de la fabrication, de la halle  on passe dans un grand bâtiment. Rectangle très allongé à un étage, percé de multiples fenêtres, il abrite les salles et magasins où se parfait le travail. Là, on trie, on lave, on essuie, on met en paquets les objets fabriqués, puis on les emballe. On trouve ici des spécimens de la plupart des produits de la verrerie de la Rochère.

 

Sa grande spécialité est la gobeleterie courante qui s’écoule surtout dans les provinces du bordelais. On y fait aussi la verrerie de table la plus fine.

J ai vu à paris, en 1925, à l’exposition des arts décoratifs, dans le pavillon de Franche-Comté, un admirable service de table fabriqué ici, carafes en forme d'aiguière, gracieuses coupes d’une légèreté extrême, s’épanouissent comme des corolles au sommet d’une haute tige, d’une finesse et d’une transparence étonnantes. Ce service avait été exécute d’après les dessins de M. Michel Boileau, l’un des fils de notre hôte. Ces beaux spécimens de la verrerie de la Rochère, voisinaient avec des grés artistiques, oeuvre du même artiste. Plusieurs représentaient des animaux. Je me souviens entre autres d'une panthère d’un réalisme saisissant. En grés émaillé multicolore, la bête était aussi belle par son anatomie, il sort aussi de la Rochère, de la verrerie à usage industriel, des tuiles de verre et, en ce moment, des carreaux ou plutôt des pavés lumineux destinés à intensifier l’éclairage de certaines usines. Ces pavés, creux à l’intérieur, renvoient les rayons de lumière. La pâte de ce verre est translucide comme de l’eau de source, sa luminosité est extrême. M. Boileau m’offre un de ces curieux pavés en souvenir de notre visite. Sa forme, ses proportions, la fraîcheur de son aspect, me permettront de l’utiliser comme cendrier. Il serait très à sa place sur un bureau moderne.

 

Au bout du bâtiment et auprès du canal amenant l’eau à la turbine, s’élève une haute et blanche cheminée de forme carrée. « Elle a un double objet, explique M. Boileau, le principal est le tirage de la machine à vapeur, l’autre le tirage des batteries de production du gaz qui sert au coupage et au rebrûlage des verres ».

 

La visite est terminée. Nous sortons de l’usine par la porte sud-ouest qui donne sur le chemin privé, aboutissant à la main-forte à tourelle, bâtie par Simon de Thysac.

 

Nous échangeons nos impressions Massey et moi, il me raconte « les vieux ouvriers de la verrerie savent encore fabriquer d’amusants objets, entre autres, des presse-papiers, boules dans la transparence desquelles se voient des dessins géométriques, des fleurs, des rubans, des guirlandes de verre de toutes les couleurs, bibelots si à la mode il y a cent ans et recherchés aujourd’hui par les antiquaires ». Mon ami tachera de me faire exécuter un presse-papiers de ce genre en souvenir de notre visite.

 

Il me raconte certains usages anciens  conservés jusqu’à nos  jours par les verriers que nous venons de voir à l’oeuvre. L’un des plus curieux est la façon dont se faisait en pleine nuit, le réveil du personnel qui devait reprendre le travail. Vers une heure du matin - un peu plus tard en hiver - un homme parcourait les rues du village en criant « faites lever vos gamins ». En termes de métier, les gamins sont les jeunes tiseurs chargés de l’entretien des fours.

Massey se souvient avoir entendu dans son enfance, ces crieurs nocturnes. Cet usage est maintenant à peu près abandonné.  Avant de partir, je dis à Maurice de Massey.

 

- « Lors de ma visite à la Rochère en 1910, j’avais vu un ancien bâtiment, vestige de la verrerie des du Houx. On y voyait les armes des derniers propriétaires au-dessus de la porte principale. Existe-t-il toujours... »

- « Mais oui, me répond-il, on l’appelle ici la vieille verrerie. Le bâtiment n’a pas beaucoup changé d’aspect depuis trente ans. Je vous y conduis ».

 

Et il me montre, au nord-ouest du village, de l’autre coté du chemin par lequel nous sommes arrivés de Passavant, une longue bâtisse, flanquée de deux pavillons et abandonnée. Elle parait avoir une quarantaine de mètres de long sur une vingtaine de large. Elle se dresse à environ soixante mètres du chemin dont elle est séparée par une prairie. De chaque coté, des jardins ouvriers.

 

En approchant, je retrouve parfaitement le bâtiment, percé de multiples ouvertures, sans portes, ni fenêtres, mais aveuglées par des planches. La construction est robuste, elle ne semble pas avoir souffert des injures du temps. Le cartouche armorié qui surmonte la porte d’entrée et qu’on a encadré dans la muraille, un peu au-dessous de deux fenêtres de l’étage est absolument intact.

 

- « la date de 1863 que vous lisez au-dessous des écussons, me dit Massey est celle de la construction de ce bâtiment, jadis halle de la verrerie. Il était l’oeuvre de la dame dont on voit ici les armoiries, à coté de celles de son mari : celui-ci, Laurent Marie du Houx, ancien officier et chevalier de St Ferdinand d’Espagne, était fils de Simon, l’un des derniers seigneurs de la Rochère et d’une demoiselle de Bonnay de Beausicant. Il fut un de mes arrière-grands-oncles, sa soeur avait épousé mon bisaïeul Nicolas Joseph de Massey. Après sa retraite, il revint à la Rochère et crut pouvoir devenir maître de verrerie. Il était malheureusement incompétent en la matière. Sa femme se nommait Claudine, Alexandrine, Joséphine de Grivel de Bard. Elle appartenait à une vieille famille de noblesse parlementaire de Franche-Comté, la même que les Grivel de Perrigny, dont était la belle-mère du premier comte d'Hennezel de Beaujeu. Ambitieuse et utopiste, cette arrière-grand-tante se ruina ici, où elle a laissé de mauvais souvenirs.

 

Voici ce qui m’a été conté. Depuis la fin du directoire, la verrerie de la Rochère chômait presque constamment. Les gentilshommes verriers ne s’y intéressaient plus à cause de la suppression de leurs privilèges, l’usine ne travaillait plus comme jadis avec des associés, des parents, des amis, mais avec des mercenaires venus des provinces voisines. Sous la restauration la verrerie ne fabriquait plus que des bouteilles ordinaires. Les feux furent éteints vers 1825.

 

La Rochère resta plusieurs années inactive. Un cousin germain de mon grand père, Ernest de Massey, célibataire endurci, résolut de reprendre l’art ancestral. Il s’associa avec plusieurs parents, entre autres son oncle, le capitaine Auguste de Massey, chevalier de St Louis et Laurent du Houx, pour fonder une nouvelle société qui exploiterait la verrerie avec des procédés de fabrication plus modernes et fabriquerait de la gobeleterie. L’usine fut reconstruite. La société nouvelle prit pour raison sociale le nom - Ernest de Massey et Compagnie - ceci se passait en 1834.

 

Cinq ans plus tard, c’est à dire en 1839, mon arrière grand-oncle, Laurent du Houx, qui possédait un quart d’intérêt dans la société, reprit l’affaire entièrement à son compte. Il changea l’emplacement de l’usine, la transporta dans sa propriété et lui donna un plus grand développement. Il s’était associé avec un M. Baud.

 

Laurent du Houx mourut une vingtaine d’années plus tard (26 juillet 1859) laissant deux enfants mineurs, nés à la Rochère. Un fils de dix huit ans  Adrien Fidèle et une fille de douze ans, Marie Fidèle. M. Baud étant mort vers la même époque, l’association fut dissoute. Les immeubles furent vendus par licitation, les acquéreurs, Mm. Balhoudey et Fouillot reprirent l’usine.

 

La veuve de Laurent du Houx ne put se résoudre à cet abandon. Autoritaire et peu intelligente, elle s’imagina qu’elle pourrait devenir aussi maîtresse de verrerie, bien qu’elle fût complètement ignorante des affaires, elle résolut de concurrencer les successeurs de son mari. A grands frais elle entreprit la construction d’une autre usine, le bâtiment que nous avons sous les veux était la halle de cette nouvelle verrerie (1863).

Deux ans plus tard, Mme du Houx maria sa fille âgée de dix huit ans avec un M. de Bourgogne, fils d’un propriétaire de Lamarche (30 mai 1865). L’année suivante ce ménage eut une fille, appelée aussi Fidèle, baptisée dans l’église de Passavant. Le parrain de l’enfant était son oncle Fidèle du Houx, habitant la Rochère.

 

Toute la famille dépensait sans compter. En quelques années, mon arrière-grand-tante engloutit sa fortune personnelle et celle de ses enfants. Un beau jour, ceux-ci quittèrent le pays, abandonnant la verrerie et leurs propriétés de la Rochère. Ils allèrent en Amérique, pensant y refaire leur fortune et se fixèrent à Chicago où ils végétèrent. Leur mère les rejoignit et vécut là-bas quelques années. Rentrée en France, elle mourut presque dans la misère.

Tandis que s’effondraient ainsi les malheureux descendants des anciennes familles de gentilshommes, l’un des nouveaux dirigeants de la verrerie, M. Fouillot homme expérimenté et actif, savait donner un nouvel essor à l’industrie. Il était fort riche : on raconte que ses parents étaient marchands de verre ambulants et qu’ils avaient gagné beaucoup d’argent, en exerçant leur commerce de foires en foires.

 

M. Fouillot maria sa fille avec M. Michel Mercier, originaire de Fontenoy-Le château, qui devint maître des verreries de la Rochère. Mais celui-ci mourut jeune (4 janvier 1865) laissant deux enfants mineurs. Une dizaine d’années plus tard, sa veuve se remaria avec son beau-frère, Gabriel Mercier, capitaine d’artillerie à Vincennes, auquel M. Fouillot confia la direction de l’usine.

 

Très intelligent, fort honnête et populaire, M. Mercier fit prospérer son industrie. Il tint dans la région une place de premier plan. Il fut président du conseil général et député de la Haute-Saône. Comme il n’avait pas d’enfants -sa femme s’était remariée assez âgée- il adopta son neveu Armand mercier et lui fit partager la direction de la verrerie avec son gendre M. Amédée Boileau, qui vient de nous faire visiter l’usine.

 

Ces deux messieurs sont actuellement les maîtres de la verrerie, ils ont assuré sa vie et son succès. Les moyens de communication s’étant beaucoup améliorés depuis un demi-siècle, leur industrie a pris un essor considérable. Mon cousin, Ernest de Massey, auteur d’intéressants souvenirs, tenait ces messieurs en grande estime.

M. Armand Mercier ayant épousé ma cousine Adeline de Finance, fille de M. Charles de Finance que vous avez connu (30 mai 1887), il se trouve que les descendants des anciens gentilshommes verriers de la Rochère sont encore intéressés dans l’industrie modernisée.

 

Cet historique de la vieille verrerie m’intéresse beaucoup, je demande à mon ami de fixer son récit sur le papier, afin de compléter mon dossier de notes.

 

Après le départ pour les États-Unis des enfants de Laurent du Houx, tous leurs biens durent être vendus. Les acquéreurs de la vieille verrerie furent les propriétaires actuels de l’usine. Ceux-ci mettent cette ancienne halle à la disposition de leurs ouvriers et des habitants du village pour y ranger leurs récoltes, pommes de terre, foins etc... Le pavillon ouest sert de logement ouvrier, celui de l’est de salle de réunion.

 

Note de 1946

 

Un ouragan survenu en février 1946 a fait écrouler la vieille halle ....

 

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