41 - PREMIERE VISITE A SAINT VAUBERT   (THOMAS)

 

SOMMAIRE

Le hameau de St Vaubert, fondé par un Thietry (1475) s’appelle aujourd'hui Thomas - La situation aux confins de la Lorraine et de la Bourgogne a mêlé son existence à la grande histoire - Le bois du Différend - Un vallon séduisant - La ferme de la famille Aubert, bâtie en 1770 par Laurent du Bois, garde du corps du roi de Pologne et sa femme Elisabeth de Hennezel de la Sibylle - Le nom de leur fille sur la pierre de fondation - Sort de leurs enfants - Pierre de fondation d’un bâtiment construit en 1840 par Félix Messey - La ferme voisine, habitée par des allemands, à la place des paysans lorrains qui ont déserté la terre - Le bonheur en ville et à la campagne - Pierre de fondation de Nicolas Messey et Catherine Régent (1832). Ce qu’étaient ces familles - Deux Messey épousent des demoiselles d’Hennezel de branches devenues paysannes. 1842-1847, une Messey épouse un du Houx, fondateur d’une verrerie à Fains (Meuse).

 

St Vaubert, l’une des plus anciennes verreries de la Vosge, remonte à 1475. Son fondateur est l’un des Thietry mentionné dans la fameuse charte de 1448. Ce maître verrier, nommé Colin, désirait installer ses enfants à proximité d’Hennezel. il découvrit entre Passavant et Darney, un canton de forêts particulièrement séduisant, un vallon boisé, aux pentes exposées au midi, un ruisseau rapide permettant de créer des étangs poissonneux, d’irriguer des prairies, de faire tourner un moulin. Enfin, au creux de cette petite vallée non loin d’une source célèbre - ses eaux placées sous le vocable d’un saint illustre, sont réputées miraculeuses - on pourrait construire une verrerie nouvelle, bâtir une agréable demeure, l’entourer de bâtiments d’exploitation. Les travaux des champs, l’élevage du bétail, l’art ancestral dans la mauvaise saison, l’existence de la famille se trouverait assurée pour plusieurs générations.

 

René II, prince magnanime, disposé à favoriser la prospérité de ses sujets et la mise en valeur de ses domaines, accordé au maître verrier,  les terrains qu il convoitait « sur la ru au-dessous de la fontaine Saint Vaubert ». Les lettres patentes régularisant cette concession, rappelaient les privilèges, les droits et les prérogatives énumérées par la charte de 1448. Elles confirmaient en leur possession le créateur du domaine et sa postérité (24 avril 1475).

Le nom du patron de la fontaine miraculeuse fut donné par Thietry à la nouvelle verrerie. Retenu comme nom de fief par ses descendants, il se perpétua jusqu’à la révolution, les Thietry de St Vaubert comptaient encore d’obscurs représentants à cette époque. Avant-hier, nous avons retrouvé leurs traces à la verrerie de Selles. Sous la restauration s’éteignit à Darney, une demoiselle de St Vaubert, ancienne religieuse, née à selles (25 décembre 18l8).

 

Aujourd'hui, le hameau de St Vaubert s’appelle simplement Thomas. Ce nom bizarre et inexplicable, est devenu officiel. Il figure seul sur ma carte, au-dessus de celui de la fontaine St Vaubert. Il est ancien, il apparut une centaine d’années après la création du domaine. A cette époque, la verrerie de St Vaubert dite chez Thomas, était la propriété de deux gentilshommes fabriquant du « grand verre » Jean de Thietry et Ambroise de Hennezel, celui-ci étant l’un des premiers de notre famille qui s’aventura en Picardie, pour y implanter son art (1572 – 1575).

 

Le nouveau domaine était situé aux confins de la Lorraine et de la Bourgogne le trace de la frontière, entre les deux pays, fut l’objet de discussions sans fin. Dés la fin du XVI° siècle, le bornage de cette ligne, passant au sud de la verrerie de St Vaubert, amena de telles contestations que la partie de la forêt qu’elle traverse fut appelé le bois du Différend, nom  qui lui est resté.

 

J’ai trouvé à la bibliothèque nationale de curieux documents, rapports, procès verbaux, plans qui permettent de suivre durant trois siècles, les événements de la grande histoire et de suivre leur répercussion à travers l’existence de St Vaubert. Sa situation géographique valut à cette verrière, nombre de fois, des incursions ennemies, pillages, rançons, emprisonnements des gentilshommes qui payèrent de leur personne et de leurs biens, leur fidélité à leur prince.

 

Plusieurs Thietry combattirent avec distinction, si bien que leurs services leur valurent de la faveur ducale des exemptions et des pensions. De ce fait, l’histoire de la verrerie de St Vaubert offre plus d’attrait que d’autres. En outre, m’a-t-on assuré, le domaine est resté jusqu’à nos jours, entre les mains de descendants des fondateurs.

 

Nous débouchons de la forêt, au nord du vallon, par la route venant d'Henricel. Le site apparaît brusquement. Il est charmant. Un oasis de terres cultivées et de prairies, en forme de coeur que frangent des futaies. Au fur et a mesure qu’on descend le chemin en pente douce, on découvre a droite, la croupe sud du plateau défriché il y a quatre siècle et demi, à gauche, un ruisseau serpente au milieu de petits près plantes d’arbres fruitiers, ourlés de haies.

 

Au creux de la vallée, quelques maisons allongent leurs ombres sous le soleil couchant, cadre harmonieux d’une existence paisible et pratique, choisi par un homme de goût. « Le décor où vit un homme trahit son âme profonde » a dit  Balzac le Thietry, fondateur de ce hameau, n’était certainement pas le premier venu.

 

En cette fin de journée, nous nous contenterons de traverser le domaine, il faut découvrir aussi le Morillon. J’arrête la voiture à gauche du chemin suivant la vallée, en face d’une maison d’aspect vieillot. Cette modeste ferme est le type des habitations rurales de ce pays. Assez longue façade exposée au midi et comportant au centre, une porte charretière voûtée en plein cintre, un appentis et une écurie la précèdent plus loin, noyés dans le fouillis d’une vigne sauvage. Le logis du cultivateur est éclairé au rez-de-chaussée par une porte et trois fenêtres et par deux autres à l’étage.

De l’autre coté du chemin et en face, un bâtiment plus rustique dépendant certainement de la même exploitation. Le devant de cette ferme est, comme toujours en ce pays, encombré et en désordre, faucheuses, chariot, brouettes, outil bois de chauffage, tas de fumier etc ...

 

Au bruit de l’auto, les habitants apparaissent sur le pas de leur porte, les touristes sont rares dans ce val solitaire. Je sors mon kodak. Pour entamer conversation, je prie les bonnes gens de se placer bien en vue devant leur logis, je leur promets leur portrait, argument irrésistible.

La famille Aubert - le père m’a dit son nom – m’apprend que l’ancienne verrerie se trouvait tout près de sa demeure, à gauche du chemin allant au morillon, sous le plus grand des étangs.

 

- « Il y a longtemps, dit-il, qu’il n en reste plus rien, les fours étaient déjà éteints et la halle en ruine, il y a dit-on cent cinquante ans, mais en travaillant la terre, on trouve encore a cet endroit là, des débris de verre ».

- « Votre maison doit être aussi bien ancienne. Peut-être a-t-elle été construite par les descendants des verriers... »

- « Ma foi monsieur, vous pouvez savoir ça, son âge est marqué sur une pierre au coin de la façade ».

 

Et il m’indique, à l’angle gauche, un bloc de grés portant, grave en lettres capitales, cette inscription

 

Deus sit bene....

Docella Elisabeth

Theresia du Bois

Posuit 1770

 

Du bois…je connais ce nom. Cette famille fut alliée à la notre. J’ouvre mon dossier de notes. En effet, trois ans avant la pose de cette pierre, Laurent Dubois, et, garde du corps du roi de Pologne, était devenu co-propriétaire de St Vaubert par son mariage avec l’une des héritières du domaine indivis, Elisabeth de Hennezel, fille de Jean-Claude, Sgr de la Sibylle, et d’Antoinette du Houx de Gorhey. Le mariage eut lieu au Morillon, voici une copie du contrat (3 février 1767).

 

Ce Laurent du bois était fils d’un propriétaire de la verrerie voisine de la Planchotte et d’une demoiselle de Vernerey. Il appartenait à une famille lorraine d'ancienne noblesse et fut maintenu, l’année suivante, dans sa qualité. Le ménage eut plusieurs enfants. Elisabeth Thérèse, l’une des filles était encore au berceau, lorsque cette maison fut bâtie et son nom gravé sur cette pierre de fondation. Cette enfant resta célibataire, elle passa toute son existence au Morillon et y mourut sous le second empire, presque centenaire.

 

Elisabeth du Bois eut un frère aussi garde du corps qui émigra et servit à l’armée de Condé. Retraité comme chef de bon, il mourut à la Rochère, sans avoir contracté d'alliance. Un autre frère marié à une demoiselle de Bichin de Cendrecourt se fixa au château de ce nom, après son mariage. La postérité est encore représentée, j’ai fait récemment la connaissance de son petit fils. Il m’a conté sur sa famille, mille souvenirs.

 

Le patronage d’Elisabeth du bois, reste visible sur cette ferme, ravive dans ma mémoire, des brides d’histoire familiale, puissance d’évocation d’un nom gravé sur une pierre vénérable. Nos pères, férus de traditions, savaient ce qu’ils faisaient en attribuant la pose de la première pierre d’une maison à l’un de leurs rejetons au berceau, geste émouvant dont le granit perpétue le souvenir. Ils affirmaient leur volonté de continuité du bien de famille dans leur descendance, ils voulaient attacher au sol leurs enfants ....

 

Le père Aubert me montre une autre inscription sur le bâtiment situé en face de sa maison. Cette pierre est beaucoup plus récente, j’en relève le texte.

 

L’an 1840

Cette pierre a été

Posée par E.S

Félix Messée

Le 26 mai

 

- « Il me semble avoir déjà rencontré ce nom de Messey » dis-je tout haut.

- « Il est aussi sur l’autre maison » répond. Le vieux paysan, en m’indiquant du même coté de la route que sa ferme, une autre ferme plus modeste encore et  d’aspect moins ancien.

- « Il y a donc d’autres habitants ici... »

- « Ah, monsieur, il n’y a plus guère que nous, les voisins ne sont pas du pays. Ils sont arrivés depuis peu de temps. Ils disent qu’ils sont alsaciens. On ne les connait pas. Il y a une cinquantaine d’années, on comptait encore à Thomas huit maisons et plus de quarante habitants, toutes les terres étaient cultivées. Maintenant chaque année, les friches gagnent. La jeunesse ne veut plus travailler la terre. Alors ce sont des étrangers qui viennent occuper nos champs. Il y en a pas mal dans le pays, c’est un malheur ... »

 

Le bonhomme baisse la voix et ajoute d’un air mystérieux, « nos voisins, on dit que se sont des allemands, eux autres sont travailleurs, mais avec eux on ne s’entend guerre ».

 

Alors ici, comme à la neuve verrerie et à la Bataille, les paysans vosgiens ont abandonné leur sol, avec l’espoir d’une existence meilleure.  

  

Je m’approche de la maison qui abrite maintenant une famille allemande et découvre la pierre de fondation. Elle porte cette inscription,

 

Cette pierre a été

Posée par Nicolas

Messey et

Catherine Régent

an 1832

 

Les Régent étaient, je crois, des paysans originaires des environs de Vauvillers. Dans cette bourgade vivait, au milieu du XVIII° siècle, un hôtelier de ce nom. Au même temps, l’un des gentilshommes détenteurs de l’ancienne verrerie de St Vaubert, M. de Bonnay de Beausiquant, vendit la majeure partie de son bien à deux cultivateurs, Gaspard Régent et André Effler ou Flaird. Catherine Régent, dont on lit ici le nom, devait être fille ou petite-fille de Gaspard.

 

Quant au Messey (Messée est une orthographe corrompue par l'accent vosgien), ils étaient venus de Pont-du-Bois ou d'Ambievillers. C’est par sa femme que Nicolas Messey s’implanta à Thomas. De simple ouvrier agricole il devint cultivateur et propriétaire, légitime récompense de son labeur. Catherine mourut dans cette maison au début du règne de Louis-Philippe (1834). Les fils continuèrent ici la culture de leurs terres.

 

L’un deux, Félix, fut le constructeur du bâtiment de 1840. Deux de ses frères s’allièrent aux dernières représentantes d’une branche de notre famille devenues paysans. Nicolas Messey domicilié à Thomas épousa à Thietry une Hennezel de Thietry, veuve d’un verrier nommé Baudouin (24 novembre 1847). Son frère, Célestin Messey, également cultivateur ici, s’allia à une Hennezel de Bazoilles, tante de la vieille paysanne que nous avons vue à la neuve verrerie (1842).

 

Une fille naquit de ce mariage, elle fut la femme d’un du Houx, fondateur d’une verrerie à Fains (Meuse).

 

Ainsi jusqu'à nos jours, la profession du verrier et celle de cultivateur devaient-elles être conjuguées dans ces familles obscures.

 

Nous reviendrons à St Vaubert, le site m’a conquis et il faudra y rechercher les vestiges d’un ermitage et d’une chapelle encore fréquentée à la veille de la révolution.

 

Nous continuons notre route et rentrons dans la forêt pour gagner le Morillon. Le chemin suit l’ancienne frontière séparant la Lorraine de la France, actuellement limite des départements des Vosges et de la Haute-Saône.

 

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