2 - PREMIER SÉJOUR A HENNEZEL (suite...)

 

 De la gare de Darney à Hennezel, la route nationale file tout droit à travers la forêt, le village fondé par nos ancêtres m’apparaît au milieu d’ une clairière cultivée qu’enserrent des bois.

 La commune portant le nom d’HENNEZEL comprend une quantité de hameaux et d’écarts, mais le village même où j arrive semble peu important, une vingtaine de maisons peut-être, entassées sur le coté droit de la route et derrière l’église. En débouchant de la forêt, c’est le clocher qui pointe tout d’abord dans l’alignement de la route, il parait très moderne et sans caractère, l’église est aussi fort simple, un long bâtiment sans aucune recherche architecturale, aux murs trapus et bas, percés de quelques fenêtres et recouvert d’un toit plat en tuiles rondes. Cette église ne se distingue guère des maisons voisines. J’ai toujours vécu dans un pays de clochers romans ou gothiques, l’église de Hennezel me parait banale.

 Au centre du village, après église, la route oblique brusquement à gauche. Je demande où se trouve le presbytère. « un peu plus loin, me répond-on, à gauche de la route vers Gruey ».

 Le presbytère semble l’une des plus belles maisons du village. L’abbé Gérard m’y accueille cordialement. Après quarante trois ans, il m est impossible d’évoquer son visage. Je garde le souvenir d’un homme plutôt petit, assez âgé, mais tressaillant. Il a la bonté de m’offrir la table et le gîte. Je dis à mon hôte mon désir de faire connaissance avec ce coin de terre ancestrale et lui confie mon intention de retrouver la trace de tous ceux qui ont porté le nom de sa paroisse. Je le remercie des notes précieuses qu’il a bien voulu me communiquer sur les branches ignorées de moi. Je lui demande enfin s’il existe à Hennezel ou aux alentours, quelques anciennes demeures dans le genre de celles que j’ai vues ce matin a la Rochère....

 L'abbé Gérard me répond tout de suite très franchement. Il ne voit rien qui soit digne d’être signalé. Un peu déconvenu, je lui cite deux vieux domaines dont j’ai rencontré constamment le nom dans mes archives, le Grandmont et la Pille.

 Le Grandmont est, au dire de nos papiers, une seigneurie concédée en 1509 par le duc Antoine de Lorraine, à mon ancêtre Didier de Hennezel, cette terre resta plus de trois siècles dans la descendance de ce gentilhomme. En 1715, Josué de Hennezel, Sgr d’Ormoy, fixé en Hainaut depuis plus de quarante ans, possédait encore des biens dans ce lieu. Quant a la Pille, c’est là que le même ancêtre s’était marié en 1664, peu avant de quitter la Lorraine. J’ajoute que les annuaires mondains mentionnent toujours l’existence d’un « château de la pille », propriété d’un M. d’Hennezel, cela m'a fait supposer qu’il subsistait peut-être des vestiges d’une habitation ancienne... Enfin, je parle de Viomenil, village dont le nom figure dans nombre d’actes en notre possession. « Je voudrais bien, dis-je, en terminant, visiter ces lieux, leurs noms me hantent depuis bien longtemps »

 Le bon prêtre me confirme que je n’y trouverai probablement rien d’intéressant et il me fait part du programme qu'il a préparé à mon intention. Il a annoncé ma visite au maire du village, M. Paul Rodier*, maître de forges à la hutte et celui-ci a bien voulu nous inviter tous deux à déjeuner demain. D’ailleurs, ajoute l’abbé Gérard, M. Rodier connaît parfaitement l’histoire de la commune. Il vous donnera d’utiles renseignements, et la vallée qu’il habite est certainement le site le plus pittoresque de ma paroisse.

 Je ne peux me dérober à cet aimable programme, mais, devant repartir le lendemain soir, je tiens tout de même à réaliser mon projet d’une visite au Grandmont et à la Pille. Je demande a M. le curé la permission d’aller, à la première heure demain matin, faire un tour rapide du côté de Viomenil. Je l’assure que je serai rentré pour déjeuner à la hutte.

 Nous visitons ensuite l’église. Elle fut construite, dit-il, au milieu du XVIII siècle, par les gentilshommes de votre nom et leurs parents. Auparavant, Hennezel n’était pas une paroisse et dépendait d’Attigny. La pierre de fondation existe toujours. Je vais vous la faire voir ». Il me conduit dans le transept nord et me montre au pied d’un autel, une dalle gravée dont je note soigneusement les dimensions et l’inscription.

 Malheureusement, ce relevé a disparu à Bourguignon, pendant l’invasion de 1914, avec tous les souvenirs recueillis au cours de mon premier voyage en Lorraine. Il m’est absolument impossible aujourd’hui de me rappeler la date et les noms lus avec l’abbé Gérard.

 Trente ans plus tard, lors de mes visites à Hennezel, je chercherai en vain cette dalle intéressante pour l’histoire de la paroisse. Le commandant klipffel et l'abbé Breteil, curé de Hennezel, ne seront pas plus heureux que moi dans cette recherche.

 «      Depuis le départ de l'Abbé Gérard, m’écrira en 1934 le commandant Klipffel, certaines modifications ont été faites dans l'église, l’ancienne sacristie située derrière le maître-autel a été transportée dans une chapelle latérale, l’autre chapelle latérale a été transformée en salle de catéchisme. Il est probable que l’inscription doit se trouver sous les réparations, si toutefois elle existe encore. M. le curé qui est à Hennezel depuis six ou sept ans, n’a jamais parlé d’aucune inscription et l'abbé Gérard est mort, il y a quelques années »

 C’est ainsi que disparaissent, par négligence ou ignorance, des souvenirs. Cependant vénérables et d’un intérêt primordial pour le passé d’un village. Si nos pères ont fait graver cette pierre et l’ont placée dans les fondations de leur église, n'était-ce pas avec le désir que leurs descendants se souvinssent du mémorable acte de foi que fut l’érection de leur village en paroisse.

* Voir "Les verreries de la forêt de Darney" Par Paul Rodier

 

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