25 - De Vézelise à Nancy

 

SOMMAIRE

 

Vézelise - Résidence des derniers Champigny. Jean-Nicolas, curé de la paroisse, au temps de louis XV - Son caractère - Mariage de son frère Dominique avec mademoiselle de Tervenus qui le fixe à Vézelise - Vanité de ce gentilhomme, espoir d’héritage - Procès ruineux et indéfini - Ses onze enfants nés à Vézelise, carrières aventureuses de ses fils - Le cadet colonel en Saxe – L’aîné diplomate léger et sans scrupule.

 

Nancy - Les amis qui nous y ont invités, les René de Loriere, les Edmond des Robert - Premier séjour à Nancy en 1913, chez les des Robert - Visite à Villers chez la comtesse d’Hennezel - Aspect et situation de ce château et de la demeure de la comtesse de Torcy - La fête nationale à Nancy, revue sur la  place Carnot, illuminations vues de la terrasse du baron de Dumast - Nancy, ville noble et ville d’art - Son rayonnement intellectuel - Centre industriel - Caractère des nancéiens - La personnalité de mon ami des Robert - Les archives départementales - Visites de musées et de la ville - Achat de gravures de Callot.

 

 

VEZELISE

 

Pendant plus de vingt cinq ans, un Champigny fut curé de cette importante paroisse. Il se nommait Jean-Nicolas. Il était le fils aîné du Champigny qui avait tenté, à la fin du XVII° siècle, de concurrencer à Anor l’industrie prospère de notre ancêtre d’Ormoy. Durant son ministère cet abbé de Champigny (il signait ainsi) eut nombre de fois, maille à partir avec ses paroissiens. Orgueilleux et autoritaire, il n’admettait pas d’être contrarié dans ses projets et ses décisions. Sa vie pastorale fut heurtée par de nombreux procès. Vaniteux, il avait décoré de ses armoiries ses registres paroissiaux, dépensier et mauvais payeur, il laissa une succession obérée. Il mourut à Vézelise à l'âge de soixante quinze ans (17 avril 1753). On l’inhuma dans le choeur de l'église. Sa pierre tombale existe peut-être encore.

 

J’aimerais retrouver la demeure de son frère Dominique. Ce gentilhomme et son cadet Théodore avaient été élevés par son oncle, précepteur des princes impériaux d’Autriche, M. de Morizot, chevalier du Saint Empire, il leur avait appris les belles manières. Les deux frères suivirent la carrière des armes, ils devin­ent, l’un capitaine dans les gardes lorraines, l’autre dans un régiment de cavalerie.

 

Dominique de Hennezel se maria a Vézelise avec mademoiselle de Tervenus, fille d’un lieutenant général du comte de Vaudemont (1er avril 1709) son frère Théodore épousa mademoiselle de Huyn, fille d'un conseiller à l’état du duc Léopold. Ces alliances apparentaient ces deux Hennezel à la plus haute magistrature de la chambre des comptes de la cour souveraine de Lorraine. Ils surent mettre à profit ces relations.

 

Intelligent et ambitieux, Dominique de Champigny était entiché de sa noblesse. Toute sa vie il s’efforça de prouver l’origine chevaleresque de sa famille. Il multiplia les recherches pour découvrir des documents anciens, il fut l'instigateur des preuves faites pendant la première moitié du XVIII° siècle par les Hennezel, notamment par les Beaujeu et les Ormoy. Il fit sanctionner l’authenticité de sa filiation par cinq grands seigneurs, représentants de l’ancienne chevalerie lorraine et par un jugement de la chambre des comptes de Nancy.

 

Peu de temps après son mariage, Mme de Champigny avait hérité de la maison familiale que les Tervenus possédaient à Vézelise (29 avril 1712). Son ménage s’y installa. Ses onze enfants y naquirent. Mais son mari avait plus de prétentions nobiliaires que d’écus. Cette nombreuse famille était une lourde charge. Il caressa toujours l’espoir d’hériter de la fortune de son oncle de Morisot. Hélas. Cette succession engendra un procès coûteux et indéfini. L’affaire n’était pas encore terminée lorsque moururent M. et Mme de Champigny (1747 et 1748). Ceux-ci laissèrent une succession déficitaire.

 

Tous leurs enfants avaient été baptisés en l’église de Vézelise, plusieurs morts au berceau y furent inhumés. Parmi ceux qui vécurent, une fille fut chanoinesse de Sainte Glossinde de Metz, une autre épousa un baron allemand. Enfin deux fils, Charles et Antoine suivirent la carrière des armes avec des fortunes étranges. Antoine page du roi de Pologne, devint colonel d’un régiment saxon, son frère aîné Charles, homme spirituel, vaniteux et prodigue, eut dans la diplomatie au service de Marie-Thérèse d’Autriche une existence aventureuse. Il fraya dans les diverses cours d’Europe avec la société faisandée du siècle de la douceur de vivre. Il termina lamentablement sa vie à Namur dans le bel hôtel que mon ami Dordolot m’a fait connaître en automne dernier. Ce triste sire rêvait de finir ses jours à Vézelise dans la demeure où il était né. « Cette maison, écrivait-il, est fort jolie. Elle est peinte à fresques et agrémentée de deux beaux jardins dont l’un a six terrasses ». C’est dans ce logis que ses parents étaient morts. Une douzaine d’années plus tôt, après avoir mangé leur fortune. Je serais curieux de savoir si cette maison existe encore.

Mais nous sommes attendus à Nancy.

  

Du mercredi 18 au samedi 21 juillet 1928, à Nancy :

  

Deux ménages d’amis nancéiens nous ont invités à mettre leur ville sur le chemin du retour. D’abord celui de René de Lorière, frère des Maxime de Sars. Il occupe un poste important à la Banque de France. Il a une vingtaine d’années de moins que moi mais notre amitié a pris une grande solidarité au début de la guerre, il était artilleur à Verdun dans les postes de combat proches des miens, nous nous voyions d’autant plus volontiers que nous étions du même pays envahi. Nous nous sommes retrouvés ensuite en Champagne en 1918. Je suis parrain de sa fille Antoinette. Les autres amis sont les Edmond des Robert avec lesquels je suis lié depuis vingt cinq ans. Déjà en 1913, ma femme et moi étions venus séjourner chez eux à Nancy. Ils habitaient Malzeville. Très aimablement, ils nous avaient fait connaître leur cité et présenté à leur voisinage. Je me souviens, entre autres des visites, que les de Robert nous avaient conduits au château de Villers, chez la comtesse d'Hennezel, mère de M. de Chatellus.

 

Veuve depuis trois ou quatre ans, madame d’Hennezel habitait seule cette belle demeure lui venant de ses parents. Située à flanc de coteau, l’habitation avait du côté du village, l’aspect d’une maison ordinaire. L’entrée donnait directement dans la rue principale de Villers. Mais du côté est, la façade était celle d’un château dominant un parc. La construction m’avait semblée du XVIII° siècle. De belles pièces de réception, de hautes fenêtres donnaient de l’allure. De la terrasse au pied de cette façade, nous avions aperçu le panorama de Nancy, immense étendue de toits pressés, de flèches, de tours qui entouraient le rayonnement des faubourgs reliant la grande ville à sa banlieue. De hautes collines, de formes et d'aspect variés, des bois, des perspectives de vallées, formaient un cadre à la métropole lorraine.

 

A droite du château et donnant aussi sur le parc, se trouvait un pavillon isolé, habité par la comtesse de Villedieu de Torcy, soeur de madame d’Hennezel. Nées à Villers, ces deux dames devaient y passer leur existence et y mourir. Quel sort plus enviable que de vieillir au milieu des souvenirs de sa petite enfance. Cette grâce est donnée, de plus en plus rarement, aux hommes de notre temps. Le progrès s’acharne à les déraciner, les lois de l’hygiène et la difficulté de se faire servir obligent bien des français à naître et à mourir dans une clinique ou un hôpital.....

  

Par sa femme, née Joybert, Edmond des Robert se trouvait allié aux Rosières, famille maternelle de la comtesse d’Hennezel, celle-ci avait une tante de Rosières mariée au baron de Joybert.

 

Un autre souvenir. Nous étions à Nancy au milieu de juillet.  Je me souviens avoir assisté à la revue, sur la place Carnot, le matin du 14 juillet. Mon ami m’avait montré dans la foule des spectateurs de nombreux officiers allemands en civil. Ils étaient venus de Metz se rendre compte de la tenue de l’armée française ...

 

Ce même jour, le baron de Dumast, beau-frère de M. des Robert, nous avait invités ma femme et moi, à passer la soirée chez lui. Il habitait l’un des deux hôtels au coin de la place Carrière, en face du palais du gouvernement (celui de droite du côté du parc de la pépinière). Du haut de la terrasse, couronnant le toit de cette belle maison, nous avions assisté a un spectacle grandiose. Les illuminations de la ville, l’embrasement de la place Stanislas, et un magnifique feu d’artifice. Un an après c’était la guerre, je revenais en Lorraine comme soldat de 2ème classe dans un régiment d'infanterie, affecté à la défense de Verdun

 

Aujourd'hui, les des Robert habitent un hôtel leur appartenant, rue Hermite, à l’extrémité du cours Léopold, derrière la porte Dessilles. Leur logis était plein - Ils ont cinq enfants - Ils n’ont pu nous loger. Nous prendrons nos repas chez eux et gîterons pendant ce court séjour, à l’hôtel Excelsior.

 

NANCY

 

Nancy, ville noble, m'a toujours attiré. Elle condense bien l’histoire de ma province. Ses vieux quartiers, le palais moyenâgeux de nos ducs, reliés aux grâces du XVIII° siècle avec un art incomparable, par la volonté d'un souverain artiste et bienfaisant, font de la capitale de la Lorraine l'une des plus belles villes de France. On ne se lasse pas d'admirer la robustesse de ses portes, la majesté de ses arcs de triomphe, l’harmonie de ses places, le charme merveilleux de ses grilles et de ses balcons de fer forgé, le fini des sculptures qui décorent à profusion, mais toujours sobrement, ses monuments.

On comprend que les vieux nancéiens soient fiers de leur cité et l’aiment passionnément. Nancy, ville d’art, ville littéraire, foyer d’influence spirituelle, rayonne, depuis trois siècles dans tout l’est de la France. Elle est aussi de nos jours, un grand centre industriel dont l’activité est répartie en de multiples branches. Alors ce joyau qu’est la cité des ducs de Lorraine, pompeusement transformée par le roi Stanislas, est comme submergée au milieu des quartiers neufs, froids et sans charme.

 

La ville moderne offre peu d’attraits. La vue de ses magasins prouve qu’on n'y connaît pas l’art des beaux étalages. Le souci de la classe moyenne est porté sur les choses pratiques plutôt qu’élégantes. Les nancéiens sont divisés en plusieurs sociétés qui se mêlent d’autant moins que le caractère lorrain est froid, réservé, un peu méfiant. La vieille aristocratie reste collet monte, elle mène une vie sérieuse, souvent méritante. Si elle s’ouvre au monde des militaires, elle ne fraye pas volontiers avec les milieux de fonctionnaires, d’industriels et du haut commerce. Mon ami occupe ici une situation de premier plan.

 

Homme de valeur et de dévouement, intelligent et cultive, il est d’une étonnante activité. Il anime les groupements les plus divers. Son érudition et ses goûts artistiques l’ont fait mettre à la tête de l’académie de Stanislas et de la société d’archéologie lorraine, il a été plusieurs fois, président de ces savantes compagnies. Il dirige le comité qui assure la conservation et l’embellissement du musée lorrain. Il a publié une quantité d’études historiques et il est un des meilleurs héraldistes de France, d’innombrables dessins d’armoiries et d’archéologie sont dus à son talent. Il s’est spécialisé dans l’étude et la composition des ex-libris. Une concordance de sentiments et de goûts a créé entre Edmond des Robert et moi, une amitié que le temps resserre chaque année un peu plus. Aussi est-ce toujours avec le plus vif plaisir que nos familles se retrouvent. .

 

Grâce à l’obligeance de cet ami, ces deux journées passées à Nancy, sont remplies par de longues séances aux archives de Lorraine. Le fond est riche en documents utiles pour mes travaux. La salle de travail est vaste et parfaitement organisée. Je suis fort bien accueilli par le jeune archiviste départemental, M. Pierre Marot. Le soir de mon second jour de recherches, j’emporte une abondante moisson de notes. Je reviendrai à diverses reprises explorer cette mine précieuse.

 

Une visite au musée lorrain, transformé et agrandi depuis 1914 sous la direction d’Edmond des Robert, un dîner chez René de Loriere et une soirée en leur compagnie à l’exposition qui s’étale sur le cours Léopold, achèvent d’occuper ce court séjour.

 

La veille de notre départ, j’ai la chance de découvrir d’anciens tirages de gravures de Callot. J’acquiers une série de personnages en costumes de l’époque de louis XIII et une planche de la suite des impressionnantes compositions consacrées par ce grand artiste aux « misères de la guerre ». Ces souvenirs d’un premier séjour de travail à Nancy me permettront de vivre dans l’ambiance de la guerre de trente ans, lorsque j’étudierai cette tragique époque de notre histoire familiale.

 

Samedi 21 juillet 1928 :

  

En quittant Nancy de bonne heure ce matin, les des Robert nous ont fait promettre de venir séjourner chez eux plus longuement à l’automne. Nous retrouvons  ma belle-mère a Saint-Dizier et rentrons ensemble le soir à Bourguignon.

 

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